Rachel Bower, Moon Milk (2018)
Nouveauté dans la rubrique "lectures" à l'occasion d'une collaboration avec le projet Birth(ing) Stories.
Alice Braun propose une traduction de trois textes de la poétesse Rachel Bower.
Stones
After Thomas Tranströmer
I keep trying to relax
but hear howling
from the bed next door
glass-clear as if there
were no curtain between us
as if this is the most
unnatural thing
in the world
and I listen to fear
and breathe again
my body is made for this
and wish for alpine stream
to smooth our stones
for ancient women
to trample moans
through sweet grass
and gift us maps of crags
trace the way
pebble paths to guide us
through the strip-lights
of this place
to stroke our stainless sheets
and when I hear
the crystal scream
legs in the air
I wish her the darkest hush of pine
Pierres
D’après Tomas Tranströmer
J’essaye pourtant de me détendre
mais j’entends des vagissements
depuis le lit d’à-côté
avec la clarté du verre comme s’il
n’y avait pas de rideau entre nous
comme s’il s’agissait de la moins
naturelle des choses
au monde
et j’écoute la peur
et je respire à nouveau
mon corps est fait pour ça
et je rêve à des ruisseaux alpins
pour adoucir nos pierres
à des femmes de l’ancien temps
pour piétiner nos gémissements
dans l’herbe douce
et nous offrir des cartes des pics
ouvrir la voie
des allées de galets pour nous guider
le long des néons
de cet endroit
pour caresser nos draps immaculés
et lorsque j’entends
le hurlement cristallin
les jambes en l’air
je lui souhaite les plus sombres et silencieux des pins
Foaling
Nobody told me I would become a beast
during labour
four fingers open, a horse measured in hands
I whinnied and brayed but no-one understood –
they tacked me up
anyway and let me shit on the floor
When my legs buckled they walked around me,
tidied the stalls,
talked among themselves, indifferent to my cries
They packed me into a truck
but I bolted,
thighs blazing as I charged through the stars.
I paused at last in a patch of black grass
sweet taste of blood
and, alone in the dark, birthed my foal.
Mettre bas
Personne ne m’avait dit que je deviendrais une bête
pendant le travail
ouverte à quatre doigts, un cheval mesuré en mains.
Je me suis mise à hennir et à braire, mais personne n’a compris
Ils m’ont attachée
malgré tout et ils m’ont laissé chier par terre.
Lorsque mes pattes ont flanché, ils m’ont contournée
nettoyé les paddocks,
parlé entre eux, indifférents à mes cris.
Ils m’ont installée dans un camion
mais je me suis enfuie,
les jarrets embrasés dans ma course vers les étoiles.
Je me suis arrêtée enfin sur un carré d’herbe noire
saveur sucrée du sang
et, seule dans le noir, j’ai mis bas mon poulain.
Track
She tramps this path each year, head of trees held high
defending the lime lichen and sweet tundra grass for belly swell.
She swallows quickly. Her milk will be rich when she’s back.
They tread the track with her, thousands of wide hooves
heading north in steaming packs. To believe in the path
is to trust the stink of plum and her wet velvet.
She weaves her way back in spring, antlers dropping
just before her calf. The birth is silent. She rests and stands
as thin legs emerge. She licks him clean as he knew she would.
Sentier
Elle gravit ce chemin chaque année, cime des arbres portée haut
défendant le lichen vert citron et la douce herbe de la toundra pour gonfler son ventre.
Elle avale rapidement. Son lait sera riche à son retour.
Ils arpentent le chemin avec elle, des milliers de sabots larges
dirigés vers le nord en meutes fumantes. Croire au chemin
c’est faire confiance à la puanteur de la terre prune et à son velours humide.
Elle tisse son retour au printemps, ses bois tombant
juste avant son daim. La naissance est silencieuse. Elle se repose debout
tandis que des jambes minces émergent. Elle le nettoie avec sa langue comme il l’attendait d’elle.
À propos
Rachel Bower est une autrice plusieurs fois récompensée basée dans la ville de Sheffield, au Royaume-Uni. Elle a notamment publié deux recueils de poèmes : Moon Milk (2018) and These Mothers of God (2021).
Alice Braun est maîtresse de conférences en anglaise à l’université Paris Nanterre. Elle travaille sur la représentation de la maternité dans la littérature contemporaine de langue anglaise.
Le projet Birth(ing) Stories cherche à caractériser les récits d’accouchement en tant qu’objet et non seulement en tant qu’outil de la recherche. On s’intéresse aux différentes formes qu’ils prennent, aux différentes narrativités qu’ils portent, selon qu’ils sont oraux, écrits, littéraires, numériques, délivrés dans le cadre d’un entretien de recherche ou travaillés par des poète.sses. Le projet pluridisciplinaire veut allier les perspectives des disciplines qui prennent en charge les récits d’accouchement comme comptes-rendus langagiers de l’expérience périnatale: linguistique, analyse de discours, études littéraires, sociologie, cultural studies, psychologique, études aréales et bien entendu maïeutique. Dans ce cadre-là, Rachel Bower, ancienne universitaire devenue poétesse à plein temps a ouvert notre séminaire en faisant le lien entre les récits et leurs analyses. Alice Braun, qui a mené l’entretien enrichit la discussion de sa connaissance du monde littéraire anglophone contemporain et de ses recherches sur la représentation littéraire des expériences de maternité. Leur collaboration est exemplaire des positions multidisciplinaires du projet qui tâche dans ses différentes réalisations ou sous-projets de relier les mondes académique, artistique et médicaux.
Pour aller plus loin :
Dans le cadre de notre collaboration, Alice Braun s'est également entretenue avec Rachel Bower pour Ecriture de soi-R, à découvrir ici.