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« Écrire sa honte : un récit de soi performatif chez Agathe Charnet et Fatima Daas »

 

- Leïla Cassar

 

 

Introduction

 

        L’une nomme, petite fille, son groupe d’amies « le Club des Gouines » avant d’être confrontée, rougissante, par ses amies qui apprennent la signification du mot ; l’autre demande conseil à une femme, à la mosquée, sur le cas d’une « amie » qui éprouve du désir pour les femmes, et se retrouve jambes tremblantes lorsque celle-ci comprend qu’il s’agit en réalité d’elle. Le roman La Petite Dernière, de Fatima Daas (2020) et la pièce Ceci est mon Corps, d’Agathe Charnet[1]  (2021) ont pour point commun de prendre pour point central une narratrice, personnage féminin, qui déploie devant les yeux d’un lectorat/public un récit de soi traversé par l’affect de la honte thématisé en lien avec le désir saphique, parfois à l’intersection avec la racialisation, la religion, la classe sociale, ou encore les violences sexuelles vécues.

          On pourrait définir la honte comme l’affect qui percute un sujet confronté au regard des autres lorsqu’il a transgressé la norme d’un groupe social ou d’une société. Dans cet instant où il est figé par le regard de l’autre, il passe de sujet à objet (Sartre : 1943) car, contrairement à la culpabilité, la honte ne concerne pas uniquement les actions, mais bien la personne elle-même. La honte altère profondément la manière de constituer son « moi ». Ainsi, La Petite Dernière, de Fatima Daas (2020) expose, dès la première page, l’entremêlement complexe de la honte et de l’identité, sous la forme du lien que l’honneur entretient au nom :

 

Je m’appelle Fatima. (…)

Je porte un nom auquel il faut rendre honneur.

Un nom qu’il ne faut pas « salir », comme on dit chez moi.  (Daas, LPD, 7)

 

Une tension est immédiatement visible entre la présentation de soi-même et la possibilité du déshonneur qui peut se poser sur son propre nom. Dans plusieurs des fragments qui composent le texte reviendra, motif obsédant, le verbe « wassekh » défini comme « salir, foutre la merde, noircir », sans cesse mis en lien avec le nom ou le prénom de « Fatima Daas ». La honte met en péril le fait de se raconter et de se présenter. Mais elle n’est pas seulement éclatement d’une capacité à faire récit de soi, elle est aussi reconstruction de celui-ci. C’est-à-dire que la honte structure le sujet au point que, comme l’écrit Eve Kosofsky Sedgwick, on ne puisse plus l’en séparer comme s’il s’agissait simplement d’une partie « toxique » distincte ; elle devient intrinsèquement liée à la création d’un nouveau soi, d’une nouvelle façon de se penser et de se dire (Kosofsky Sedgwick, 13).  

          La Petite Dernière et Ceci est mon Corps mettent tous les deux en jeu un récit de soi. De quelle façon l’affect de la honte est-il employé par les autrices à l’intérieur de ce déploiement d’une voix narrative qui tente de se ressaisir par le langage ? Comment agit-il, au-delà d’un simple thème, sur la forme de l’écriture ? Je tenterai dans cet article de montrer comment l’écriture de la honte s’y fait puissance performative dans la création d’un nouveau récit de soi.

 

 

     I. Le récit de soi, formé, déformé, reformé par la honte dans les textes

 

I.1. De quoi parle-t-on quand on parle de performance ?

 

         Les différentes origines du terme « performance », ses différentes acceptions, contribuent à créer un trouble autour de ce concept. Ainsi, il me paraît important de retracer brièvement l’historique de ces termes et de situer la manière dont je l’emploie ici.

           Il est forgé par John Langshaw Austin en 1955 lors d’une série de conférences à Harvard, plus tard publiées sous le titre « Quand dire c’est faire». Austin y développe une théorie des actes de langage, et y théorise notamment le terme « d’énoncé performatif ». Un énoncé performatif ne se contente pas de décrire la réalité, il la produit également. Ainsi, dire « Oui, je le veux » à un mariage entraîne la réalisation concrète et légale du mariage. Si cette conceptualisation du « performatif » sera très vite désavouée par Austin au profit des termes de « locutoire », « illocutoire » et « perlocutoire », c’est le terme de « performatif » qui continue à être utilisé dans les recherches qui le suivent, dans les sciences humaines et sociales tout comme dans le domaine artistique.

          La deuxième généalogie remonte au domaine de l’esthétique et est rattachée à la notion de « performance art », formulée vers 1970 aux Etats-Unis, notamment par l’artiste Allan Kaprow. Il s’agit, en opposition au théâtre, de faire surgir sur scène un présent de l’événementialité. Nourrie par la pensée d’Austin et son prolongement par Derrida – qui y introduit la possibilité de l’échec du performatif, le rendant possible dans les arts[2]– le domaine de la performance va forger sa propre conception de la « performativité ». Elle sera notamment conceptualisée par Richard Schechner, qui définit un certain nombre de critères qui définissent la performativité – c’est-à-dire, ici, la possibilité de surgissement de la performance.

           Judith Butler et Eve Kosofsky Sedgwick vont, respectivement d’un point de vue philosophique et littéraire, au sein de la théorie queer, reprendre les deux généalogies du terme de « performativité » pour les unir dans une acception commune. C’est tout d’abord Butler qui va déplacer la question de la performativité du côté de l’identité, en parlant de « performance de genre » dans son ouvrage Trouble dans le genre : la répétition d’actions visant à imiter un modèle de genre crée la réalité de ce genre. Ainsi, montrer l’action, une action citationnelle et répétée (ce qui définit pour Schechner la performance), entraîne la réalisation d’une réalité de l’identité (ce qui nous ramène à Austin).

           Eve Kosofsky Sedgwick prolonge la réflexion en forgeant le terme de « queer performativity » et cherche à investiguer la façon dont la notion de performativité pourrait servir à comprendre autre chose que la présentation de soi genrée, mais aussi ce qu’elle nomme des « actes complexes de langage » comme le coming-out par exemple. Dans son article « Queer Performativity: Henry James’s The Art of the Novel » (1993), elle revient à la centralité du langage dans l’histoire du concept de performativité, mais la lie toujours à la notion de « performance » dans le domaine de l’esthétique. Il est ici question d’un acte de langage qui est aussi un acte de l’ordre de la performance théâtrale, et transforme l’identité par dénonciation. Elle développe également l’idée selon laquelle la honte est un affect à la fois performatif et théâtral, intrinsèquement liée aux sujets queers. Ainsi, écrit-elle :

 

If queer is a politically potent term, which it is, that’s because, far from being capable of being detached from the childhood scene of shame, it cleaves to that scene as a near-inexhaustible source of transformational energy[3] (Kosofsky Sedgwick, 4).

 

La honte n’est ici pas analysée comme une force paralysante, mais comme une source d’énergie transformationnelle et profondément politique C’est la théorie développée par Sedgwick que j’emploierai ici pour analyser La Petite Dernière et Ceci est mon corps, tout en m’appuyant, tout comme elle, sur les apports fondateurs de Austin et de Schechner. Il s’agira ainsi de pointer ce qui, dans l’écriture de ces autrices, va mobiliser la honte comme élément transformateur et performatif.

I.2. Un récit de soi progressivement troublé

         Dans ces deux textes, une voix narrative principale déploie un récit de soi qui contribue à former un personnage dont l’image peut parfois se confondre avec celle de l’autrice. Ces récits sont mis en place d’une manière qui peut, de prime abord, apparaître conventionnelle. Dans Ceci est mon corps d’Agathe Charnet, il nous est donné à voir à la première page la gestation puis l’accouchement du personnage, et les fragments s’enchainent ensuite dans un ordre chronologique, avec l’indication de l’année qui suit chaque titre de fragment. Cela évoque un récit biographique débutant à la naissance du personnage pour se poursuivre de manière chronologique. Dans La Petite Dernière de Fatima Daas, « Je m’appelle Fatima » est la première phrase du texte. Le personnage se présente, semble-t-il, mais par extension, il peut sembler au lectorat qu’il s’agit de l’autrice, puisqu’elles portent le même nom.

          « Je m’appelle » est une phrase usuelle, utilisée comme un code de présentation dans la plupart des assemblées où l’on est amené-e à rencontrer de nouvelles personnes. En littérature, il est aussi plutôt classique de voir un personnage commencer par se présenter avant d’entamer un récit. De nombreuses informations sont en effet transmises dans la présentation par le nom et prénom, installant ici pour les lecteur-ices un certain nombre de clés de lectures initiales. Le prénom peut nous renseigner sur le genre de la personne qui le porte, sur sa classe sociale, sur sa racialisation, sa religion, ou sa culture, lorsqu’il est donné en hommage à une personne connue. Ici le prénom « Fatima » est commenté par la narratrice pour ses connotations de genre et de religion :

 

Je m’appelle Fatima.

Fatima est un prénom féminin, musulman. (Daas, LPD, 47)

 

Elle précise également que ce prénom renvoie à un personnage exemplaire en islam. Toutefois, ici, ce code de présentation usuel va gagner en étrangeté par le fait qu’il est repris de manière anaphorique, presque dans chaque début de fragment du livre. Tout au long du livre, le personnage de Fatima Daas ne cesse de se présenter à son lectorat. Chaque fragment du texte débute par l’un de ces deux énoncés :« Je m’appelle Fatima » ou bien « Je m’appelle Fatima Daas ». C’est sa répétition qui introduit un trouble dans le récit de soi de ce personnage. En ce sens, l’utilisation anaphorique de ce code de présentation fait écho à ce que Richard Schechner identifie comme l’une des caractéristiques de la performance :  le geste citationnel. Le geste citationnel consiste à employer un geste couramment utilisé dans la vie quotidienne – comme celui de faire « au revoir » de la main par exemple – un geste si codifié socialement et répété qu’on ne sait même plus d’où il vient. Faire ce geste est déjà, pour Schechner, une performance en soi.  Mais lorsqu’il est donné à voir pour un public extérieur, il s’agit de l’interroger comme geste. Cela, d’autant plus lorsqu’il est décalé, rendu étrange (le geste peut par exemple être fait très lentement, ou très vite, fait à moitié, répété un grand nombre de fois, etc.). Ici, il pourrait s’agir, par l’écriture, de questionner le code « se présenter » et, ce faisant, de problématiser l’identité et le récit de soi en proposant de réfléchir à ce qu’implique le fait de se présenter par son nom.

 

        Tout au long du livre, à chaque fragment, Fatima Daas-narratrice propose différents éléments de définition d’elle-même, reprenant la même structure, le même rythme, et presque la même longueur de phrase que « Je m’appelle Fatima Daas » et suivant cet énoncé : « Je suis porteuse d’une maladie chronique » (Daas, LPD, 45), « Je suis musulmane » (Daas, LPD, 43), « Je suis une menteuse / Je suis une pécheresse » (Daas, LPD, 35). Autant d’éléments d’un essai de définition d’elle-même qui viennent brouiller les attendus qui sont peut-être posés sur une lesbienne, une musulmane, une clichoise, etc. ; jusqu’à ce que, plus que le développement d’un récit de soi fragmenté, émergent plusieurs Fatima Daas, qui, à chaque page, se présentent à nous pour la première fois.  Plusieurs instances « Fatima Daas » sont alors présentes dans le récit : Fatima Daas-narratrice, Fatima Daas-personnage agissant, Fatima Daas-autrice, Fatima Dass-personnage littéraire, etc..

 

          Dans Ceci est mon corps, le trouble est également introduit progressivement à l’intérieur du déroulé chronologique. L’utilisation, là encore, du fragment, offre une multitude de focales sur la construction de la voix narrative dans son questionnement autour de la notion d’identité. Le texte présente une déclinaison des différents aspects qui ont contribué à former la narratrice : les chansons et les histoires entendues dans l’enfance, les cassettes VHS visionnées, les premières règles, les premières expériences sexuelles notamment. L’enquête que semble mener la narratrice sur son propre corps fait donc entrevoir que son identité personnelle n’est pas seulement formée par ses propres expériences, mais aussi par les discours qui l’infiltrent, ceux des femmes de sa famille, de ses amies, de la pop culture, de la Bible ou de la littérature. Cela est visible discursivement par la présence de phrases en italique à l’intérieur de la parole de la narratrice. Dans le fragment « LA FUITE », la narratrice évoque ses nombreuses conquêtes masculines, dans un rythme effréné qui finit par les confondre dans une seule et même entité sans visage, un « ils » indistinct[4]. Mais ces aventures sont soutenues par des modèles de femmes fantasmées, comme l’indique la présence marquée de la chanson de Barbara, Moi je me balance :

 

Je tiens une liste que je m’enorgueillis de voir gonfler. Mon lit est assez grand pour des milliers d’amants. Je change les draps entre deux passages. Ils marchent le regard fier, mes hommes. J’aère entre deux nuits. Moi devant et eux derrière, mes hommes. (Charnet, CEMC, 79)

 

Tout le passage est marqué par l’accentuation de l’agentivité d’un « Je » qui revient à chaque ligne et semble presque seul dans ses aventures sexuelles (« je quitte », « je tente », « je convoque », « je jauge, je calcule, je programme », « j’observe », « j’ausculte », « Je fais l’amour avec eux », « je me lance un défi », « J’organise », « Je forme », « Je refuse », « Je dis », « Je revendique » (Charnet, CEMC, 79). Cette omniprésence du « Je » lié à des verbes d’action, un « Je » aux commandes, indique une coïncidence entre les désirs de la narratrice-personnage et ses actions. Pourtant, le titre du fragment, « LA FUITE », et le surgissement, à la fois sur le corps décrit et dans le texte, de manifestations corporelles purulentes, constituent un deuxième discours visant à mettre en péril le premier qui était celui d’une narratrice-personnage épanouie dans une sexualité hétérosexuelle passionnée. Ainsi le récit de soi est comme scindé en deux, plaçant le public/lectorat dans une lecture double, collectant des indices pour tenter de cerner qui est le « moi » qui parle[5] ou pour identifier la vérité d’un « Je » scindé.

           Le texte de Charnet suppose donc que le « Je » n’a pas de noyau authentique, de vérité inaliénable, mais est constitué par des discours sociaux et médiatiques superposés.  Le titre du fragment « LA FUITE » fait ainsi écho, par association d’idées, à la « fugue » en musique classique, du latin «fuga», entièrement fondé sur le procédé de la fuite, puisque l’auditeur doit avoir la sensation que le thème ou sujet de la fugue fuit d’une voix à l’autre.  C’est bien ce qui se passe ici : pour constituer un récit de soi, la narratrice fait entendre des voix diverses venant s’intercaler, construire ou mettre à mal le « Je ».

 

        Les deux textes posent alors les questions suivantes :  Comment déployer un récit de soi lorsque nous sommes la cohabitation d’éléments disparates ? Comment constituer un « Je » avec autant d’éléments variés et éclatés ?

 

I.3. Un récit de soi progressivement déstructuré par la honte

 

        C’est un récit de soi progressivement troublé que mettent en place ces deux textes. Cependant, l’élément qui vient déstructurer la capacité des personnages à faire récit d’elles-mêmes est l’affect de la honte, ici particulièrement la honte sexuelle. Cette dynamique est particulièrement visible dans le jeu qui s’opère autour des pronoms dans La Petite Dernière lorsqu’il s’agit de ce qui fait honte, et que l’on peut analyser avec l’aide du concept de «grammaire transfromationnelle » développé par Eve Kosofsky Sedgwick dans son article « Queer Performativity: Henry James’s The Art of the Novel » (1993) qui lui permet à de pointer l’affect de la honte comme une puissance performative, et plus encore, puissance performative queer. Se référant à la pensée d’Austin concernant l’énoncé performatif, elle note que l’exemple qu’il emploie le plus est celui du « Je le veux » dans le mariage hétérosexuel. Ainsi, écrit-elle, il met au centre une institution hétérosexuelle normative (le mariage), et la première personne du singulier au présent de l’indicatif actif (« Je le veux »). Il y a dans cet énoncé un apparent naturel avec lequel la première personne du singulier parle, agit, se désigne en tant que sujet, se confie à l’autorité de l’état et désigne calmement les autres personnes présentes en témoins. En revanche, pour une personne queer, se désigner à la première personne du singulier, au présent, à l’actif et à l’indicatif pose problème ; le rapport à l’autorité de l’état est, pour elle beaucoup moins simple, tout comme le rapport au fait d’avoir des « témoins ». Eve Kosofsky Sedgwick évoque alors un autre type d’énoncé performatif qui serait « honte à toi ». Cette formulation pose beaucoup de questions (elle interroge le statut de la première personne, le singulier/pluriel, le statut passé/présent/futur, et même l'agence/passivité). Il existe une « grammaire transformationnelle », puisque la honte est projetée vers l’extérieur.  Une scène de La Petite Dernière met particulièrement en jeu cette « grammaire transformationnelle » : Fatima Daas-personnage agresse un garçon homosexuel de son lycée, par un croche-patte et en prononçant la phrase :

 

T’es qu’un sale pédé, qu’est-ce que tu parles avec moi ? Bouge avant que je t’explose !(Daas, LPD, 66)

 

Ici Fatima Daas-personnage nie le nom de celui qu’elle agresse, le nommant à sa place (« sale pédé »)[6]. Judith Butler relève qu’en anglais, « to be called a name[7] » c’est à la fois être insulté et recevoir un nom (Butler, 61). Le « Je » de Fatima s’oppose au « Tu » apposé au garçon. La superposition de la proposition « T’es qu’un sale pédé » avec « qu’est-ce tu parles avec moi » indique que ce qu’est supposément ce garçon, à savoir homosexuel, ne l’autorise pas à discuter avec Fatima. Le « T’es », qui entame la phrase, vient directement s’opposer au « moi » qui la conclut, et qui est isolé à la fin de la phrase comme pour s’en protéger. Cela suggère que le « moi » pourrait être contaminé par le « sale pédé » ; pourrait en être sali, c’est-à-dire, dans l’économie du texte, « déshonoré[8] ». Lorsque le « Je » et le « Tu » sont associés dans la phrase suivante, c’est dans la formulation agressive « que je t’explose », pour mettre en place une proximité physique qui serait celle de l’agression.

         Cependant, tout ce qui est appliqué au garçon homosexuel finit par être retourné et utilisé pour qualifier Fatima Daas elle-même. Au début du fragment, Fatima Daas-narratrice, qui s’apprête à raconter le souvenir, appose à elle-même cette idée de saleté : « Je crois que j’ai sali mon prénom », tandis que la menace d’agression physique se retourne contre soi « J’ai envie de me buter ». Comme l’écrit Eve Kosofsky Sedgwick :

 

‘Shame on you’ is performatively efficacious because its grammar-admittedly somewhat enigmatic-is a transformational grammar: both at the level of pronoun positioning, as I’ve sketched, and at the level of the relational grammar of the affect shame itself. As described by the psychologist Silvan Tomkins, who offers by far the richest theory and phenomenology of this affect, shame effaces itself; shame points and projects; shame turns itself skin side outside; shame and pride, shame and self- display, shame and exhibitionism are different interlinings of the same glove: shame, it might finally be said, transformational shame, is performance. I mean theatrical performance[9]. (Kosofsky Sedgwick, 4-5) 

 

La honte sème le trouble dans la construction d’un « Je » en troublant la limite entre soi et les autres. Elle transforme sans cesse les rapports et les narrations. Plus loin dans le texte, alors que le personnage de Fatima s’adresse à une femme à la mosquée pour lui demander son avis sur le cas d’une « amie » musulmane et lesbienne, elle se retrouve horrifiée par la réponse de la femme qui s’adresse à elle à la deuxième personne du singulier, indiquant qu’elle a compris qu’elle parlait en réalité d’elle-même : « Elle avait dit « tu », mes jambes se sont mises à trembler » (Daas, LPD, 112). La honte devenir sienne alors qu’elle la rejetait à l’extérieur (sur la figure du garçon, de « l’amie »). Elle met alors en péril le fait même de se raconter, fracturant le récit en plusieurs « Je » qui s’opposent. 

 

 

               II. Soi comme performance, performance de soi

 

          Plus encore qu’une puissance venant ébranler le récit de soi, la honte peut être conçue comme performative, dans les deux sens du terme, agissant dans l’écriture pour donner naissance à un nouveau soi.

 

II.1. Une nouvelle naissance ? La performance liminaire

 

          Si les deux textes déploient un récit de soi, ils nous convient à une performance de soi, à une nouvelle naissance qui se joue devant nos yeux, celle d’un « Je » jusqu’alors refoulé. L’acte humiliant provoque un double-mouvement : en déstructurant le récit de soi, il le reforge aussi.

 

         La première scène de Ceci est mon corps est une scène de gestation puis d’accouchement : devant le lectorat/public est mise au monde la narratrice et c’est, davantage que par la chair, par les mots qu’est constitué ce corps qui émerge progressivement :

 

Qu’à mon commencement était leur verbe
Que je les entendais déjà les mots
A travers le ventre
Les mots qui transpercent l’eau stagnante
Les mots en corps à peau
Ils arrivent directement par intraveineuse
Par voie ombilicale
Les mots amniotiques qui nourrissent
Déjà je les entends
Déjà ils me désignent.

(…)

Voici que ça bat plus vite le deuxième cœur
Voici que ça caresse à travers la membrane
Car on a dit ce que j’étais ce que j’allais être
Ces mots que je suce comme un suc par le cordon. (Charnet, CEMC, 3)

 

Si ce sont les mots qui ont formé ce corps, si tout est né de la parole, alors le geste d’écriture auquel peut peut-être, déformer et reformer celui-ci en un corps nouveau. Après le dépliement de fragments qui retracent de manière chronologique la construction du Je de la narratrice adviennent en deux pages, les pages 89 et 90 dans lesquelles sont rejoués, en accéléré, tous les souvenirs qui ont été omis dans le premier récit : souvenirs d’émois lesbiens, de prières écrites en secret pour ne pas être autre chose qu’hétérosexuelle. Cette énumération saccadée par la présence de « / » est entamée par ces mentions, en gras :

Cold Case / Rapsodie du refoulé / Réouverture du dossier par l’Instruction / relecture de la déposition secrète du repli le plus honteux de la mémoire de l’accusée. (Charnet, CEMC, 89)  

Puis, un nouveau mot employé pour se désigner, entrer dans une catégorie identitaire, et est inscrit en toutes lettres pendant deux pages :

LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE LESBIENNE (…) (Charnet, CEMC, 92).

 

Nous assistons ici, dans le déroulé de l’écriture, à un acte de production de soi-même par le récit de la honte, la narratrice se créant comme personnage par la parole.Celle-ci est dotée ici d’une dimension quasiment incantatoire : par sa répétition, son rythme hypnotique qui place les auditeur-ices dans un état altéré de conscience, elle fait entrer dans un espace ritualisé où se déroule la naissance ou la transformation de celle qui parle.

       Chez Fatima Daas, l’image de la naissance est aussi très présente, avec plus spécifiquement la pratique de la césarienne, qui est le mode d’accouchement duquel la narratrice nous dit être née. Elle nous en donne d’ailleurs une définition : « tailler, couper » (Daas, LPD, 30). Or, le texte est lui-même taillé et coupé en fragments, voire en différentes instances qui opèrent la fabrication d’un récit de soi, et par ce récit de soi, d’un personnage. Fatima Daas-narratrice se fait chirurgienne pour découper le corps du texte. Et de ce découpage émerge le personnage de Fatima Daas, comme donnée à entrapercevoir dans les différents fragments, jusqu’au dernier, qui montre une Fatima en quelque sorte réconciliée. Là où les fragments débutaient par « Je m’appelle Fatima » ou « Je m’appelle Fatima Daas », le dernier fragment est entamé par la réunion de ces deux énoncés :

 

Je m’appelle Fatima.

Fatima Daas. (Daas, LPD, 173)

 

Les différents éléments éparpillés au gré des fragments sont alors rassemblés sous cette prémisse. Ce n’est pas que le soi se soit soudainement unifié, ait dépassé ses conflits ; c’est plutôt qu’il y a reconnaissance, par l’écriture, que tous ces éléments disparates et en apparence irréconciliables constituent, dans leur superposition et leur cohabitation, un « Je » qui prend forme par le récit. Comme le déclare Fatima Daas dans l’émission « Les temps qui courent » :

 

Peut-être que la littérature apporte cet endroit-là, où on peut exister avec toutes ses facettes multiples et contradictoires, qui font mal et qui questionnent. (Daas, 2020) 

 

Le récit de soi permet une mise en crise par la honte du récit de soi des personnages, certes, mais surtout à la quête et le tissage d’un nouveau.

         La création de ce nouveau récit de soi à l’intérieur des textes peut être identifié à une forme de « performance liminaire » telle que définie par Richard Schechner dans sa catégorisation des huit types de performance. Elle correspond à l’une des sept fonctions qu’il identifie à la performance : marquer ou changer l’identité (Schechner, 46). Elle consiste à faire entrer dans un espace liminaire, c’est-à-dire un espace où le personnage/performeur va se dépouiller devant nos yeux d’une identité précédente, entrer dans un état d’entre deux et ressortir avec une nouvelle identité (on peut donner pour exemple les rituels liés à la puberté dans certaines sociétés, ou le baptême, le mariage…). Le rituel performatif liminaire va parfois créer ce que Victor Turner nomme « communitas », c’est-à-dire un état (transitoire) d’égalité et de communion où un groupe de personnes partage une expérience liminaire commune, un rite de passage. Cette communitas peut se créer dans une performance rituelle qui est codifiée par une société donnée, mais aussi se passer dans une salle de théâtre, pour un public face à une œuvre d’art.Ainsi, ces œuvres écrivant la honte invitent à une forme de performance liminaire, visant à transformer l’identité du personnage, mais peut-être aussi, par là-même à modifier les subjectivités du public/lectorat. On pourrait parler ici de performativité, dans le sens où la parole crée l’action (ici le soi est généré par le discours), mais aussi au sens où il s’agit d’une performance, d’un évènement dans lequel nous voyons un personnage être défait d’un soi avant d’en endosser un nouveau. La performance problématise ainsi la question de l’identité. Comme l’écrit Eve Kosofsky Sedgwick :

 

Shame interests me politically, then, because it generates and legitimates the place of identity-the question of identity-at the origin of the impulse to the performative, but does so without giving that identity-space the standing of an essence. It constitutes it as to-be-constituted, which is also to say, as already there for the (necessary, productive) misconstrual and misrecognition (Kosofsky Sedgwick, 13)[10]

 

Ce qui est produit est une construction du personnage, qui en se racontant lui-même, accède à une forme d’identité, dans le sens où elle le relie à une communauté plus large.

 

 

II.2. Prendre la parole, faire effraction

 

           Il s’agit alors, en plus d’un risque, d’un acte d’effraction dans le langage commun. On peut alors parler d’un geste performatif visant à prendre la parole pour mettre en question la structure dominante du langage. Je m’appuierai ici, pour étayer cette affirmation, sur le travail de thèse de Mona Gérardin-Laverge (2018), qui développe l’idée que les luttes féministes emploient un langage performatif comme moyen d’action sur le monde. Au fil de ses analyses, elle parvient à une catégorisation de certains actes de langages féministes performatifs. Je tenterai, grâce à certaines d’entre elles, de comprendre comment l’écriture de la honte pourrait être conçue, dans La Petite Dernière et Ceci est mon corps, comme performative en termes de langage. 

        L’écriture du mot « LESBIENNE » en lettres capitales, répété sur plusieurs pages, à l’intérieur du texte d’Agathe Charnet, et précédé par des insultes usuelles qui désignent les femmes lesbiennes permet de faire exister un mot invisibilisé dans l’espace social et médiatique. Agathe Charnet rend impossible, à la lecture, de ne pas voir ce mot ; plus encore, puisqu’il s’agit d’un texte dédié à la scène, elle a pour visée de le faire exister d’une manière à laquelle il est difficile de se soustraire. La prononciation de ce mot sur scène ne prend pas seulement un espace visible mais aussi sonore et temporel ; s’il est possible de lire en diagonale les deux pages où le terme « LESBIENNE » est répété, il paraît plus difficile de ne pas entendre un-e acteur-ice le prononcer inlassablement, et ce, pendant un temps plutôt long. Depuis les insultes, les soupçons posés sur la narratrice par les petites filles de la cour de récréation, par le « Petit Ami » de sa première histoire d’amour, il y a transformation jusqu’à ce que le texte s’empare de ce terme pour le resignifier. L’écriture a alors le pouvoir de nommer, de redéfinir, et prend un positionnement politique. Ainsi que l’écrit Mona Gérardin-Laverge, dans sa thèse Le langage est un lieu de lutte : la performativité du langage ordinaire dans la construction du genre et les luttes féministes :

 

On peut considérer que le point le plus extrême de la domination par le langage, fondée sur le déni du langage des autres, consiste à s’arroger le droit unilatéral de les nommer. Par conséquent, la mise en question polémique du geste de nomination, et des nominations elles-mêmes, est un point fondamental de la lutte contre la naturalisation de l’oppression et l’appropriation du langage tout entier par quelques-unes. (Gérardin-Laverge, 602).

 

On revient ici à l’acte de se nommer évoqué au début de cet article. L’écriture propose dès lors un processus de re-nomination ; la honte, qui était d’abord une puissance de déstabilisation, refonde, et remodèle le récit de soi. Plus encore, elle est l’énergie qui impulse une mise en cause du langage de la domination hétéropatriarcale. La honte n’est pas, dans ces œuvres, uniquement mobilisée pour exprimer une réalité vécue mais est employée comme processus performatif à l’intérieur de l’écriture, visant à se transformer.

           Une de ces forces transformatrices animant l’écriture est celle de la dénaturalisation : révéler la domination, la rendre visible, à travers l’affect de la honte. Comme le note le sociologue Vincent de Gaulejac, c’est parce que l’individu « se réclame (des) normes, qu’il se fait honte » (de Gaulejac, 163) Elle est alors peut-être l’un des exemples les plus marquants de l’intériorisation de la domination : une notion qui postule que l’oppression ne se joue pas seulement dans le rapport interpersonnel, mais aussi dans le rapport de soi à soi, puisque l’opprimé·e se pense dans la langue dominante. Ici, montrer la honte permet de montrer les mécanismes d’humiliation sociale qui la font naître. Cette dynamique est mise en valeur par l’utilisation du discours indirect libre faisant le compte des phrases dites, des humiliations vécues, tant chez Fatima Daas que chez Agathe Charnet, du discours qui revient, comme par échos, dans la subjectivité de la narratrice. On assiste donc à l’intégration d’un discours lesbophobe, raciste, islamophobe et classiste.

           Une autre des capacités transformatrices de cette écriture de la honte est son renversement. C’est le principe à l’origine d’une Marche des Fiertés: ce qui faisait l’objet d’une honte paralysante, est désormais performé avec fierté. Chez Agathe Charnet, on peut retrouver ce mécanisme dans les dernières pages de la pièce. Du « Je » qui parlait seul, l’écriture élargit l’histoire à un « nous » ; la fierté se trouve dans la dimension collective, dans l’inscription d’une histoire queer plus vaste. C’est une « cohorte » se forme devant le lectorat/public, associant par le caractère minorisé de ses membres, ceux et celles qui paradent :

 

La grandiose cohorte de faibles

La merveilleuse cohorte des laisséXs pour comptes (…)

Nos MauditXs, nos Bizarres, tes FragilXs, tes AbiméXs, nos EtrangerXs, tes QuXer, vous trop ScintillantXs, nos trop SombreXs, Tes FreaKs, Vos Stranges, nos PillléXs de l’Intérieur, vos GénérEux, Tes HéroïnEs, Nos Trop PalXs, Vos CabossXes, nos Non ValidXs, Vos MutiléXs, Nos DésintégréXsLes trop biaXux, les Trop bXelles, (Charnet, CEMC, 118)

 

Plutôt que de rapporter une parole humiliante subie, l’écriture intervient dans la langue même pour la transformer.  L’utilisation du « langage inclusif », marqué par la présence du « X », va de pair avec l’aspect « manifeste » de ce passage. Mona Gérardin-Laverge parle à ce propos « d’interventions préfiguratives » ; il s’agit de ne pas simplement réclamer un changement, mais de le rendre effectif en offrant un aperçu d’une autre façon d’employer le langage. Ces interventions sur la langue, largement utilisées dans le militantisme féministe et ici utilisées au sein même de l’espace de l’écriture, viennent mettre en cause la norme linguistique dominante et s’arroger le droit de la reformuler, de la transformer alors même que rien ne les y autorise officiellement.

          Plus encore, dans ce passage, et c’est une autre dimension performative de l’écriture de la honte, il s’agit de « faire honte » à la société qui a usé de processus d’humiliation, faisant écho au célèbre slogan féministe : « la honte doit changer de camp ». On retrouve cela dans Ceci est mon corps :

 

Je vous accuse d’avoir tenté de faire de nous de trop bonnes élèves.

Je m’accuse d’avoir tant cru à vos mots
De les avoir tant crus vrais vos mots

Que j’ai voulu les graver dans les tréfonds de ma chair

M’en faire des colliers (Charnet, CEMC, 102)

 

Ici, est décrit tout un processus d’humiliation qui finit par être intériorisé, mais cette fin de pièce insiste également sur la responsabilité de l’assemblée qui est là pour assister au spectacle, assemblée ici symbolique de la société tout entière. On retrouve alors une adresse directe au public : présente dans le tout début du texte, elle laisse la place à l’histoire narrée du corps de la narratrice, avant de revenir dans les derniers fragments. Dans le dernier, intitulé « La mer n’est pas loin », il y a dans l’écriture une insistance presque inquiète à s’assurer de la présence et de l’attention du public en face :

 

Vous entendez

Vous m’entendez ?

(…)

Parce que

Je vous regarde

Oui

Je vous regarde

Et je vous parle (Charnet, CEMC, 120)

 

Le « Je » et le « Vous » s’intercalent dans un mouvement insistant d’aller-retour et pointent le fait qu’il n’est pas simplement question de parler pour soi mais surtout de parler en face, en présence d’un public et pour lui. Ce mouvement insiste sur la réciprocité : c’est un processus partagé qui vise à transformer tout à la fois le personnage et le public. Si la parole peut avoir une vocation politique et éthique, c’est parce qu’elle est prononcée devant une communauté rassemblée :

 

Et je dis

Ici et devant tous

Que je n’aurai pas peur. (Charnet, CEMC, 120)

 

Ce qui se passe sur scène, le processus performatif de transformation de soi par la honte et le dépassement de la honte, ne peut se passer que devant une audience et au sein d’une société. Il n’est plus question de quatrième mur, puisque cela détournerait la visée de l’écriture. C’est le « ici et devant tous » qui donne au discours une puissance performative. Les autres, les spectateur-ices, sont convoqué-e-s pour voir et entendre, et ainsi donner une valeur d’action à la prise de parole. Cela nous rappellera l’une des conditions principales de l’énoncé performatif décrite par Austin :  le contexte qui en légitime l’énonciation. Ainsi, si la condition de réalisation performative d’un « Je le veux » lors d’un mariage est la présence de témoins et d’un-e officiant-e habilité-e à réaliser un mariage civil ou religieux, on pourrait estimer que la condition d’un récit de soi marqué par la honte et la transformation de soi est la présence de spectateur-ices ou de leucteur-ices. Cette importance capitale de la co-présence se mue ainsi en injonction à écouter et à regarder pour le public dans Ceci est mon corps

 

Regardez-moi je vous parle (Charnet, CEMC, 120)

 

Pour parler, semble dire cette fin du texte, il faut être entendu-e et vu-e, ainsi que le déclare Emmanuelle Josse, co-fondatrice de la revue féministe « La Déferlante », en évoquant le vocabulaire employé après le Mouvement MeToo : « À mon sens, il faut arrêter de parler de la libération de la parole. Il y a surtout un phénomène de la libération de l’écoute. Tout le monde a allumé son sonotone » (Josse, 2020).  L’écoute est précisément au cœur de la fin de la pièce d’Agathe Charnet mais également du texte de Fatima Daas, par le biais des procédés d’adresse et par l’affirmation d’une expression dans un espace de co-présence avec un public.

 

 

Conclusion

        « Se dire lesbienne », pour reprendre le titre de l’ouvrage de la sociologue Natacha Chetcuti est avant tout un acte de langage ; celui de «l’autonomination », presque davantage que de la découverte sexuelle et amoureuse. La petite dernière et Ceci est mon corps explorent cette question de la création d’un récit de soi à travers l’emploi de l’affect de la honte, et par celui-ci, les notions d’éclatement et de rassemblement. Ces écritures nous invitent alors à l’intérieur même du processus de « se nommer » et de « se dire », en train de se faire. L’affect de la honte, qui divise le sujet jusqu’à la souffrance, est remobilisé dans l’écriture pour construire un personnage et une cohérence nouvelle dans le récit de soi.  Ce faisant, ces écritures interpellent un auditoire et créent un espace d’expression renouvelé à travers le langage et la forme de l’écrit, employant la honte dans sa dimension transformationnelle et performative

 

 

 

[1] Cet article se réfère à la version tapuscrite de la pièce, telle que sélectionnée par Artcena en 2021. Toutefois la pièce a été publiée depuis, et comporte des modifications assez importantes. Il sera précisé en note de bas de page lorsque les passages cités ont subi des modifications ou des suppressions. La pièce est désormais publiée chez l’œil du prince (Charnet, Agathe. Ceci est mon corps. Paris : L’œil du prince, 2022.)

[2] Les effets produits par l’énoncé performatif – effets que Austin nomme « perlocutoires » - entraînent, dans la théorie originelle de Quand dire c’est faire, la réalisation de l’action visée. Ainsi, si on prononce « Je le veux » mais que les conditions ne sont pas réunies pour réaliser légalement un mariage, alors l’énoncé n’est pas performatif. Derrida introduit la possibilité de l’échec du performatif – qu’il y ait réalisation de l’acte ou non, l’énoncé n’en reste pas moins performatif. L’action contenue dans l’énoncé performatif se suffit à elle-même.

[3] « Si queer est un terme politiquement puissant, ce qu'il est, c'est parce que, loin d'être capable de se détacher de la scène de honte de l'enfance, il s'attache à cette scène comme une source presque inépuisable d'énergie transformationnelle. » Traduction Leïla Cassar, 2022.

[4][4] Ce passage, présent dans le tapuscrit d’Artcena, a été coupé dans la version éditée.

[5] Il est d’ailleurs à noter que les références des citations ne sont pas toujours indiquées. C’est ainsi au lectorat de saisir ce qui constitue une référence extérieure, par l’interprétation de la police utilisée ou la mobilisation de sa culture personnelle.

[6] En revanche, la Fatima Daas-narratrice (ou écrivaine) nomme le garçon (Benjamin) à quatre reprises ; il y a une opposition entre ces deux instances.

[7]

[8] La première page nous indique que « salir, c’est déshonorer ». (Daas, Fatima. La petite dernière. Notab/lia. Paris: Éditions Noir sur blanc, 2020, p.7).

[9] « « Honte à toi » est performativement efficace parce que sa grammaire, certes un peu énigmatique, est une grammaire transformationnelle : tant au niveau du positionnement des pronoms, comme je l'ai souligné, qu'au niveau de la grammaire relationnelle de l'affect honte lui-même. (…) La honte s'efface elle-même ; la honte désigne et projette, la honte retourne sa peau à l’extérieur ; honte et fierté, honte et exposition de soi, honte et exhibitionnisme sont différents revers d’un même gant : la honte, pourrait-on finalement dire, la honte transformationnelle, est performance. Je veux dire performance théâtrale.” Traduction Leïla Cassar, 2022.

[10]  « La honte m'intéresse donc politiquement parce qu'elle engendre et légitime la place de l'identité - la question de l'identité - à l'origine de l'impulsion au performatif, mais sans donner à cet espace identitaire le statut d'essence. Elle le constitue comme à-constituer, c'est-à-dire comme déjà là pour la (nécessaire, productive) méconnaissance et non reconnaissance. » Traduction Leïla Cassar, 2022.

 

Bibliographie :

  • Butler, Judith. Le pouvoir des mots, Discours de haine et politique du performatif. Paris: Amsterdam, 2008.

  • BOULTON, Alex, « Honte », TLFi Trésor de la Langue Française informatisé, Nancy, 1994.

  • Charnet, Agathe. Ceci est mon corps. Tapuscrit transmis par l’autrice, Artcena, 2021.

  • Daas, Fatima. La petite dernière. Notab/lia. Paris: Éditions Noir sur blanc, 2020.

  • De Gaulejac, Vincent. Les sources de la honte. Sociologie clinique. Paris: Desclée de Brouwer, 2000.

  • ———. Fatima Daas :  « C’est un privilège de pouvoir dire la vérité ». France Culture, 7 septembre 2020. https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/par-les-temps-qui-courent-emission-du-lundi-07-septembre-2020.

  • Féral, Josette. « De la performance à la performativité ». Communications, 2013.

  • Gérardin-Laverge, Mona. « Le langage est un lieu de lutte La performativité du langage ordinaire dans la construction du genre et les luttes féministes. » Université Paris I  - Paris Sorbonne, UFR de Philosophie, Ecole doctorale de Philosophie, Institut des Sciences Juridiques et Philosophiques de la Sorbonne., 2018.

  • Gros, Frédéric. La honte est un sentiment révolutionnaire. Paris: Albin Michel, 2021.

  • Josse, Emmanuelle. Féminisme : « Arrêtons de parler de la libération de la parole, c’est surtout une libération de l’écoute » - La Déferlante veut documenter la société post #MeToo. Neon Magazine, 24 novembre 2020. https://www.neonmag.fr/feminisme-arretons-de-parler-de-la-liberation-de-la-parole-cest-surtout-une-liberation-de-lecoute-la-deferlante-veut-documenter-la-societe-post-metoo-565017.html.

  • Kosofsky Sedgwick, Eve. « Queer Performativity: Henry James’s The Art of the Novel. » GLQ, no 1 (1 novembre 1993): 1‑16. https://doi-org.bibelec.univ-lyon2.fr/10.1215/10642684-1-1-1.

  • Schechner, Richard. Performance Studies: An Introduction. Londres: Routledge, 2013.

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À propos du/de la rédacteur.ice :

Leïla Cassar est doctorante, autrice et dramaturge. Elle prépare actuellement une thèse à l’université Lyon II sous la direction de Bérénice Hamidi et de Marie-Jeanne Zenetti. Elle a donné des interventions de recherche dans des séminaires, colloques et journées d’études à l’EHESS, l’Université de Haute-Alsace, ou encore l’UQAM et a été publiée dans les revues Archée et In Vivo. Formée à l’ENSATT en écriture dramatique, elle est l’autrice de plusieurs pièces, qui ont été mises en scène ou en lecture à Lyon, Paris, Bobigny, Montréal, New York, Valréas et est lauréate du Palmarès Jeunes Textes en Liberté et de l’Aide à la création d’Artcena. Militante, elle a co-fondé le Collectif AntiAutruche, collectif féministe de l'ENSATT et y a coordonné un cycle de conférence visant à mettre en valeur les artistes minorisé.e.s. Ses thématiques de recherche portent sur les écritures contemporaines d’autrices.

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