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« La mémoire en montage. Nox d’Anne Carson.   »

 

- Céline Huyghebaert

 

 

La mort de l’autre, non seulement, mais surtout si on l’aime, n’annonce pas une absence, une disparition, la fin de telle ou telle vie, à savoir la possibilité pour un monde (toujours unique) d’apparaître à tel vivant. La mort déclare chaque fois la fin du monde en totalité, la fin de tout monde possible, et chaque fois la fin du monde comme totalité unique, donc irremplaçable et donc infinie.

— Jacques Derrida, Chaque fois unique, la fin du monde.

 

Introduction

Sur le dos d’une boîte rigide, au gris terne des pierres tombales, on lit cette inscription : « When my brother died I made an epitaph for him in the form of a book. This is a replica of it, as close as we could get[1] ». Sur la tranche, le titre : Nox, qui signifie « nuit » en latin. Et sur le devant, une photo en noir et blanc découpée le long de la silhouette d’un enfant portant un maillot de bain trop large et de grosses lunettes de plongée. Il faut ouvrir la boîte, comme on ouvre une boîte à souvenirs ou comme se ferme une sépulture, pour déplier un livre-accordéon de 200 pages pour découvrir l’élégie que l’écrivaine canadienne a composée pour son frère mort, une épitaphe comme elle l’appelle, composée de photos, de lettres, de dessins et de textes qui offrent une réflexion touchante et dense sur l’absence.

 

Anne Carson est une poète, essayiste, traductrice et professeure de littérature classique torontoise. Elle publie des ouvrages qui mélangent poésie, roman, essai académique et journal intime, comme Autobiography of Red: A Novel in Verse (1998) ou The Beauty of the Husband: A Fictional Essay in 29 Tangos (2001), où les références classiques et les éléments autobiographiques se côtoient en questionnant la perte de l’être aimé ou la mort d’un proche.

Nox[2], qui a été publié en 2010, est la reproduction du journal que Carson a tenu après la mort de son frère en 2000, alors qu’elle ne l’avait pas vu depuis 20 ans. Elle y a rassemblé toutes les informations recueillies sur lui afin, dit-elle, d’essayer de recomposer son portrait. Au travers des pages, on apprend qu’Anne Carson et son frère grandissent au Canada avant qu’il ne doive fuir le pays en 1978 sous une fausse identité et avec un faux passeport pour éviter la prison. Il voyage en Europe, puis en Inde, « à la recherche de quelque chose[3] » (1.2[4]). Les rares cartes postales qu’il envoie sont laconiques. Il écrit une unique lettre, à leur mère, l’hiver où « Anna » meurt. Tout ce qu’on sait sur Anna, à travers la lettre déchirée et reproduite par morceaux dans Nox, c’est qu’elle était l’amour de sa vie et qu’elle est morte dans des conditions mystérieuses. Il se marie avec (au moins) deux autres femmes, dont Dane, une Norvégienne, avec qui il finit sa vie. Il ne correspond avec personne pendant les sept années qui précèdent la mort de sa mère. Anne et lui ont une dernière conversation téléphonique. Elle est lapidaire. C’est Dane qui apprend par téléphone à l’autrice, avec deux semaines de retard, la mort de Michael. Anne Carson décide alors de partir en Norvège et tient un journal pour construire le portrait tout en creux, en questionnements, en silences, de son frère à partir des archives qu’elle rassemble.

La particularité du livre est de faire cohabiter les souvenirs personnels du frère avec le processus de traduction d’une élégie écrite par Catulle au 1er siècle av. J.C., une élégie que le poète latin a écrite pour son frère mort. Ainsi, après avoir retranscrit dans sa totalité, et en langue originelle, le poème 101 de Catulle au début du livre, Anne Carson le démantèle mot par mot : sur chaque page de gauche, elle déplie la définition polysémique et subjective de chacun des 63 mots qui le composent. À la manière des romans en traduction où le texte originel et sa traduction se déploient de part et d’autre de la tranche du livre, les yeux des lecteur-ices glissent ici de la déconstruction du poème sur les pages de gauche au collage personnel sur les pages de droite, un collage composé d’archives biographiques, de lettres, de cartes postales, de timbres, de photographies de famille et de peinture liées au frère.

Si Nox est un objet de mémoire, c’est également un objet troublant qui ne se construit ni sur le biographique ni sur l’historique. Il n’a pas le pathos de l’élégie. Lorsqu’il dresse le portrait du frère, il regarde seulement du côté des silences et des zones d’ombre. C’est un monument funéraire qui tente de faire remonter une mémoire déjà enfouie, déjà disparue et inaccessible ; un récit morcelé plein de trous et d’énigmes irrésolues, pour que jamais ne se figent les traits de celui qui est parti.

 

 

I. Quelques traces, les gestes d’un cérémonial manqué, un substitut de monument funéraire

 

Michael n’a pas de pierre tombale. Ses cendres ont été jetées à la mer, selon ses souhaits. Et même s’il en avait une, elle serait signée d’un nom d’emprunt, puisqu’il a changé de nom en 1978. Toutes les traces accumulées dans Nox attestent d’une existence en train de disparaître et luttent contre notre angoisse de la finitude. D’ailleurs, le soin avec lequel a été reproduit le journal originel tenu par Carson permet de donner à la copie fabriquée par l’éditeur un aspect « fait main » qui lui confère une valeur testimoniale, le « ça a été » de Barthes. Comme ce dernier l’explique dans la Chambre claire pour la photographie [mais on peut l’étendre à toute sorte de trace (écriture manuscrite, timbres tamponnés, etc.) d’une existence], procure un état de certitude qu’aucun écrit ne peut offrir. C’est un « certificat de présence » qui valide, authentifie la réalité. Carson a pris un soin particulier à donner une patine ancienne et authentique à son livre. Elle raconte qu’elle a trempé les pages de son manuscrit dans du thé pour leur donner un aspect jauni, et plonger ainsi le lecteur dans une expérience sensorielle similaire à celle qu’elle ressent quand elle consulte les vieux dictionnaires de latin. De la même façon, comme si le livre était l’original et non une copie, on a gardé la trace, sur l’endos des pages, de la brochure de l’agrafe ou de l’encre qui avait pu baver et traverser la page. Et la reproduction des pages a été faite de manière à conserver l’illusion tridimensionnelle des collages : « If you photocopy or scan something perfectly, it looks glossy like a cookbook but if you let a little light into the machine and make it a bad Xerox, you get all those edges and life, you get what Currie [le mari de Carson] calls the “decay” [5]. » (Wachtel, p. 35)

Parce qu’il a l’air fait main, parce qu’il porte la trace d’une intervention singulière, le livre est chargé d’une aura particulière : dans une critique, un journaliste parle de l’aspect sacré, auratique — « holy vibe » — de l’objet (Anderson). L’aura entretient une relation dialectique avec la trace.

 

Trace et aura. La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de nous. (Benjamin, p. 464)

L’aura, dans Nox, émane en même temps, et de l’accumulation des traces, des preuves tangibles d’une existence singulière dans laquelle on entre (ou qu’on profane ?) réellement, concrètement, en ouvrant la boîte qui la contient ; et de l’apparition d’un lointain — poèmes latins, pages jaunies, citations de penseurs antiques — qui confère une valeur universelle au témoignage. On glisse alors d’une perte à la perte, d’une souffrance face à la mort d’un proche à l’insoutenable douleur de l’impermanence. Comme le frère de Catulle, mort lui aussi en l’absence de son frère, et dont il ne reste que dix lignes, Michael disparaît. Sa disparition confronte les lecteur-ices au scandale de la mort : « la fin du monde en totalité, la fin de tout monde possible, et chaque fois la fin du monde comme totalité unique, donc irremplaçable et donc infinie. » (Derrida, p. 9) Cette répétition infinie se joue à travers la répétition des élégies dans l’œuvre de Carson : élégie de Carson pour son frère, élégie de Michael pour Anna, élégie de la mère pour Michael qu’elle croit mort, élégie de la dernière femme de Michael et l’élégie de Catulle. Elles se répètent pour essayer de conjurer la réalité d’une disparition qui menace.

L’écrivaine perpétue ainsi des gestes symboliques qui remplacent les rituels funéraires auxquels elle n’a pas participé. Pour glaner des indices sur son frère, elle se rend dans l’église où ont eu lieu les funérailles ; elle visite les tombes de ses parents ; elle écrit une élégie. Elle fabrique le monument qui comble l’absence, qui lutte contre le chaos avec lequel nous laisse chaque mort[6], dit-elle dans une entrevue. Pour reprendre ce qu’elle écrit dans Nox, le livre permet de transformer la mort en une forme qui peut la contenir, et même, dans l’idéal, qui se porte toute seule : « It is when you are asking about something that you realize you yourself have survived it, and so you must carry it, or fashion it into a thing that carries itself [7]. » (1.1) C’est d’ailleurs cette même image qui est évoquée dans la première partie du livre lorsque Carson rapporte une légende que racontait Hekataoïs, un des premiers historiens grecs dont il reste des traces écrites, lorsqu’il voulait expliquer ce qu’est l’histoire : « He makes out of myrrh an egg as big as he can carry. Then he tests it to see if he can carry it. After that he hollows out the egg and lays his father inside and plugs up the hollow. With father inside the egg weighs the same as before. Having plugged it up he carries the egg to Egypt to the temple of the sun[8]. » (1.1)

 

 

II. Une mémoire en négatif

 

L’intime — du latin intimus, superlatif de interior — désigne étymologiquement ce qui est au plus profond de l’être. Sa frontière avec le privé reste trouble, comme l’illustre l’exemple donné par Manon Brunet dans Discours et pratiques de l’intime : si la facture de téléphone trouvée dans notre boîte aux lettres appartient au domaine du privé et non de l’intime, les appels téléphoniques en eux-mêmes ou la lettre d’un ami nous semblent intimes. C’est que « le territoire de l’intime […] ne se réduit pas à celui du je » (Brunet, p. 10), qu’il soit sujet affectif ou pronom personnel. Ce qui le distingue alors du privé, c’est qu’il n’est pas un lieu en soi (une facture, un numéro de carte, etc.), mais une construction qui implique l’Autre, qui menace d’être livrée à l’Autre chaque fois qu’il entre en contact avec lui.

L’intime est donc, par définition, ce qui échappe à l’autre et l’implique pourtant. Ce sont peut-être les raisons pour lesquelles le portrait que dresse Carson de son frère est opaque : pour qu’il se déploie sur les territoires de l’intime, et non du privé. Deux images importantes traversent l’œuvre à ce sujet : le thème de la nuit et celui du silence. La nuit — nox en latin — est associée au frère, à un caractère sombre qui émane de lui, mais aussi, de manière plus métaphorique, à tout ce qui, de lui, nous échappe.

Sur la première page du livre, le mot « Frater » est encadré du mot « Nox » répété plusieurs fois comme un mur ou un vêtement qui protège. La récurrence du terme est aussi fréquente à l’intérieur des définitions des mots latins du poème, sur les pages de gauche du livre. En effet, si on lit attentivement les définitions, on se rend compte qu’elles ne sont pas la reproduction authentique des dictionnaires de terminologie latine, même si elles en prennent la forme. Rapidement, de ligne en ligne, on voit apparaître des illustrations subjectives qui évoquent la nuit, le rien, ou l’absence. Par exemple, dans la définition du mot « Multas », qui signifie « beaucoup », Carson ajoute la phrase illustrative « multa Nox » : « late in the night, perhaps too late ». Ou encore, pour le mot « donarem », elle inclut dans la définition la phrase « Nox nihil donat » : « nothing is night gift ». À l’opposé, la lumière, moteur du projet initial, se fraye peu de place à l’intérieur des pages : « I wanted to fill my elegy with light of all kinds. But death makes us stingy. There is nothing more to be expended on that, we think, he’s dead[9] » (1.0). Éclairer : orienter les projecteurs sur les ombres du frère. Éclairer aussi : égayer, rendre lumineux le chaos sombre que peut représenter la mort d’un être cher. Mais ce désir est voué à l’échec, même si Michael est la « lumière de la vie[10] » (4.1) de sa mère et de son ex-femme. Parce que la mort nous rend avares, dit l’écrivaine, mais aussi, parce que les indices que cette dernière ramasse autour de Michael n’éclairent rien. Michael a quelque chose d’insaisissable qui glisse des mains chaque fois qu’elle croit les refermer sur un indice. Il est comme ces ombres fantomatiques qui traversent les photographies de famille que Carson a intégrées dans son livre. La plupart d’entre elles sont des fragments, des détails découpés dans la photographie d’origine de manière à n’en montrer que l’arrière-plan. Le redécoupage crée une ambiance fantomatique, désertée ou hantée par une présence insaisissable, puisque les protagonistes du premier plan n’apparaissent plus, mais que leur ombre plane sur le sol, sans référent. Pour elle, ces photos qui ne montrent personne — chaises et balançoire vides, mur traversé d’une ombre, long escalier — disent mieux, par l’absence qu’elles mettent en scène, qui était Michael. D’ailleurs, dit-elle, elle n’a pas eu besoin de découper toutes les photos, car certaines étaient déjà, naturellement, vides. « Beaucoup [de photos de famille] sont des photos sur rien[11].

L’autre image est celle du silence. Silence du frère qui n’écrit jamais ou, quand il le fait, reste évasif. Son silence rappelle le mot latin « mutam » que Carson traduit, parmi la longue liste de sens proposés, comme un propos inarticulé, le fait de marmonner, de manquer de la faculté de parler. L’incommunicabilité est physique, concrète : parce que Michael est loin, surtout parce qu’il ne donne pas d’adresse, tout espoir de conversation est vain. Ainsi, la mère qui écrit des lettres dans le vide, lettres qui sont destinées à son fils, mais qui ne sont pour personne au fond, puisqu’elles ne peuvent être envoyées nulle part : « My dear Michael, for five years four months and seven days I’ve prayed for you […]. I hope I have an address for you where I could mail a box for Christmas. Love Mother[12] » (4.1). La mère butte sur un silence absolu de sept ans au terme duquel elle finit par penser que son fils est mort, puisque « quand elle prie pour lui, rien ne lui fait écho », comme si cette idée était finalement plus supportable que l’attente et l’incompréhension.

Dans le même sens, toute conversation liée au frère se clôt sur le silence. Carson et sa mère finissent par ne plus parler de lui quand elles sont ensemble. La femme de Michael commence son élégie par son refus de parler : « I do not want to say that much about Michael[13] », et quand Michael appelle Carson après les sept années de silence : « He had nothing to say[14] ». Dans ce contexte, le mot « mute » renvoie sans arrêt au frère. Le nom «muteness », dit Carson, vient du latin « mutus » qui signifie « silence », mais aussi du grec « myein », « être fermé », en parlant de la bouche ou des yeux, ou « être opaque ». D’autres mots, comme mystère ou mystique, sont formés de la même racine. Tous, selon Carson, parlent de l’hermétisme non seulement de son frère, mais de toute personne, de tout événement, de toute parole.

Néanmoins, dans cet indicible où le mystère n’est jamais levé, irradient quelques éclats de lumière. Souvent, c’est dans un silence, dans un détail presque anecdotique qu’on arrive à saisir une trace d’intimité. Si le mot « muteness » vient aussi du grec « myein », « être fermé », et qu’on l’utilise notamment pour parler de la bouche ou des yeux, dans l’ouvrage de Carson, la bouche et les yeux sont souvent des portes d’entrée vers quelque chose d’intime et d’indicible. Il y a notamment, cette photo, dont parle beaucoup Carson dans ses entrevues comme de la photo dans laquelle le regard de Michael contiendrait « toute sa vie[15] » (Wachtel, p. 34). Michael est seul au pied de l’arbre. Les autres enfants se tiennent ensemble devant une cabane perchée dans les branches. Ils ont retiré l’échelle pour que Michael ne puisse pas monter. Dans le regard que le frère jette à la caméra, dit Carson, on peut lire un entêtement triste qui pourrait agir comme une synthèse prémonitoire, voire une condamnation anachronique : il ne gagnera jamais, il ne réussira jamais à monter dans l’arbre, mais il ne sera jamais capable de croire que la prochaine fois ne sera pas une victoire.

Dans la voix de Michael, Carson saisit également quelque chose d’indicible, « d’incrusté, de noir, de dense » : « His voice was like his voice with something else incrusted on it, black, dense — it lighted up for a moment when he said ‘pinhead’ (So pinhead d’you attain wisdom yet?) then went dark again[16] » (5.2). Ou encore, cette fois, dans ce qui n’est pas dit, dans l’esquisse d’un mal-être : lors de leur dernière conversation téléphonique, Michael répond de manière élusive aux questions que lui pose Carson, comme s’il était insensible : « Mother is dead. Yes I guess she is. She had a lot of pain because of you. Yes I guess she did. Why didn’t you write. Well it was hard for me. Are you sick. No. Do you work. Yes[17]. » Puis vient ce moment où Carson lui demande « Are you happy[18]. » et la réponse de Michael « No. Oh no. » (5.1) impose quelque chose d’insurmontable, de lourd et abîmé, qui n’est pas dit, mais révélé par l’incapacité même de le nommer.

 

 

III. Une mémoire en mouvement

 

Ce silence infranchissable, cette incommunicabilité, c’est ce que Blanchot appelle, dans L’Entretien infini, le rapport neutre entre les êtres. Il élabore cette notion à partir du concept de « visage » que Levinas donne à l’épiphanie de l’autre. Ce que le philosophe appelle visage c’est « lorsqu’autrui se révèle à moi comme ce qui est absolument en dehors et au-dessus de moi, non parce qu’il serait le plus puissant, mais parce que là, cesse le pouvoir » (Blanchot, p. 77). Autrement dit, l’épiphanie de l’autre, c’est l’irruption de l’autre, de l’altérité dans ma réalité qui impose la nécessité du langage et, en même temps, révèle son insuffisance pour vaincre la séparation ontologique entre moi et l’autre. Je parle pour épuiser une distance, mais l’existence même de la parole rappelle à la réalité tangible de cette distance infranchissable :

 

Il y a langage, parce qu’il n’y a rien de «commun» entre ceux qui s’expriment, séparation qui est supposée — non surmontée, mais confirmée — dans toute vraie parole. Si nous n’avions rien à nous dire de nouveau, si par le discours ne me venait pas quelque chose d’étranger, capable de m’instruire, il ne serait pas question de parler. C’est pourquoi, dans le monde où ne régnerait plus que la loi du Même (l’avenir de l’accomplissement dialectique), l’homme — on peut le supposer — perdrait et son visage et son langage. (Blanchot, p. 79)

 

Barthes dit la même chose lorsqu’il cite l’exemple d’un ami qui vient de mourir et à qui il veut témoigner sa compassion. Alors qu’il pensait pouvoir utiliser le mot « Condoléances », il est finalement forcé de passer par une variation « originale » et insatisfaisante de son message pour que ce dernier soit chargé de la chaleur qu’il veut offrir à son ami. S’il se parlait à lui-même, une « sorte de nomenclature spontanée de ses sentiments lui suffirait » (Barthes, EC, p. 13), mais puisque la parole et l’écriture sont communication vers l’autre et non vers le même, elles doivent construire une forme, passer paradoxalement par une plus grande médiation pour exprimer le sentiment au plus près. Ainsi, le rapport que j’entretiens avec quelqu’un n’est pas sous le signe de l’unité, malgré l’effort constant que je fais pour rendre l’autre identique. Il s’agit plutôt d’un rapport d’étrangeté : « Maintenant, ce qui "fonde" le rapport, le laissant non fondé, ce n’est plus la proximité, proximité de lutte, de services, d’essence, de connaissance ou de reconnaissance, voire de solitude, c’est l’étrangeté entre nous : étrangeté qu’il ne suffit pas de caractériser comme une séparation, ni même une distance. » (Blanchot, p. 97)

Carson poursuit cette étrangeté, cette part d’opaque chez son frère en suivant la même méthodologie que celle qu’elle applique pour traduire le poème de Catulle. Le texte originel est une altérité, dont le sens est enseveli. Elle n’a accès, comme matériau, qu’à ce qu’il en reste. En effet, le récit historique, l’élégie et la traduction sont, pour Carson, des formes négatives du discours, dans le sens où ils échouent à faire réapparaître l’événement dont ils parlent, ils montrent ce qui manque, ce qui a disparu, ce qui échappe. La transcription de l’identité de son frère, comme celle du poème 101 de Catulle dont elle cherche en vain à restituer l’atmosphère et le sens exact, est une errance à la recherche d’un mot, ou d’une phrase, qui n’existent pas. D’ailleurs, elle dit étudier les phrases que Michael a prononcées comme si elle était chargée de les traduire[19] (8.1). Carson évoque ainsi l’illusion qui nous berce de vouloir connaître l’autre en son « centre », en son « âme[20] » : « we want the other to have a centre, a history, an account that makes sense. We want to be able to say This is what he did and Here’s why. It forms a lock against oblivion[21] » (3.3). Mais il n’y a pas de centre vers lequel convergeraient tous les matériaux amassés, pas de secret enfoui sous un ensemble cohérent. Juste une collection hasardeuse de morsures qui s’ajoutent les unes aux autres.

Carson compare le processus de traduction d’un poème antique (ou d’un être mort) à une errance dans une chambre obscure, « c’est comme traduire une chambre, mais pas tout à fait une chambre inconnue, pas une chambre inconnue au point de chercher l’interrupteur[22] » (7.1). C’est un leurre, précise-t-elle, de croire qu’il y a un interrupteur. Les mots — les êtres — ne sont pas munis d’un interrupteur qu’il suffirait d’actionner pour qu’ils nous délivrent tout leur sens. Ils sont faits d’une infinité de portes, d’entrées, de significations tissées sur une grande toile qui se tend chaque fois que l’on essaie de construire une vision d’ensemble :

 

Prowling the meaning of a word, prowling the history of a person, no use expecting a flood of light. Human words have no main switch. But all those little kidnaps in the dark. And then the luminous, big, shivering, discandied, unrepentant, barking web of them that hangs in your mind when you turn back to the page you were trying to translate[23]. (7.1)

 

Elle continue en disant que c’est une chambre qu’on ne peut jamais quitter, «inquiétante peut-être à cause de cela[24]».

Finalement, n’est-ce pas Nox tout entier qui, dans sa forme fragmentaire, offre la meilleure traduction possible de l’élégie latine ? Il n’en propose pas une interprétation, mais une infinité de versions. Ainsi, l’oraison funèbre que la dernière femme de Michael prononce à ses funérailles, ou encore la dernière lettre que la mère adresse à son fils seraient des versions personnalisées du poème antique, au même titre que l’est le déploiement lexical du poème latin, ou que le sont chacune des photos, des phrases, des fragments assemblées dans le livre-accordéon. De cette façon, l’ouvrage échappe au danger du discours commémoratif qui clôt le sens en organisant les faits une fois pour toutes. Il s’érige comme un monument mobile, un montage de détails hétérogènes et anachroniques chargé, de par sa mobilité, d’une énergie vitale.

L’« histoire », comme le rappelle Carson, vient du grec historia, signifiant « enquête », « connaissance acquise par l’enquête » (1.1). L’historien, comme l’orateur d’une élégie, est celui qui questionne et assemble des faits afin de pouvoir témoigner d’une réalité passée. Carson évoque à ce sujet la figure d’Hérodote, prosateur du 5e siècle av. J.-C. et considéré comme le père de l’histoire. Néanmoins, il propose une histoire qui n’est pas une construction autoritaire et ordonnée d’un ensemble de faits recueillis. Au contraire, il remet en cause la souveraineté de l’Histoire en précisant que l’historien est rarement le témoin de l’histoire, mais plutôt un relais : il n’assiste pas aux événements qu’il relate. D’ailleurs, il se contente bien souvent de transmettre des contenus rapportés en les introduisant à l’aide de l’expression « on dit que[25]» (1.2). Carson reprend cette idée, ajoutant que l’historien n’a pas à croire à ce « qui est dit », puis ajoute en écho à cette prise de position les derniers mots que Michael a écrits sur la lettre adressée à sa mère : « love you, love you » (10.1), mettant en doute, par le rapprochement incongru, la fiabilité des sentiments exprimés par le frère. Par ailleurs, l’histoire a cela d’ambigu qu’elle a beau rassembler des faits tangibles, des archives concrètes, elle reste pourtant, elle aussi, indéchiffrable : ce qu’il reste, les traces qu’analyse l’historien, ne peuvent jamais faire émerger à nouveau ce qui a été. Hérodote raconte, pour illustrer son propos, que lorsqu’il a demandé aux Scythes de lui indiquer le nombre d’habitants de leur peuple, ils lui ont montré un bol coulé dans le métal de l’ensemble des pointes des flèches que chaque Scythe doit offrir au roi. Le bol laisse « une mémoire », « un monument » concret qui ne dit rien de précis, duquel on ne peut déduire qu’une interprétation approximative. Anne Carson utilise cette image du bol scythe pour décrire le processus hasardeux de toute traduction comme de tout récit. Raconter l’histoire, collective ou individuelle, c’est peut-être tenter de deviner le nombre d’épées qui ont été nécessaires à la fabrication du bol[26]. Ça ne produit aucun savoir certain. Ça n’aboutit qu’à une nouvelle réinterprétation.

Nouvelle forme de collection et de monstration d’éléments, le montage est un faisceau de détails hétérogènes et anachroniques, agencés de manière à ce qu’ils tissent des relations dialectiques entre eux, donc d’une structure « qui ne cherche pas à réduire la complexité, mais à la montrer, à l’exposer, à la déplier » (Didi-Huberman, IS, p. 494) dans une logique dialectique. Les fragments sont organisés dans un désordre calculé qui permet de tisser des liens surprenants entre eux, et d’arriver ainsi à une autre forme de savoir. Rapprocher l’histoire collective transmise par Herodote de l’histoire singulière de Michael, mettre sur le même plan l’élégie antique et l’oraison funèbre contemporaine sont des actions qui permettent non seulement de donner au portrait du frère une portée universelle, mais surtout de proposer un récit de mémoire, comme une traduction, qui n’est pas un état à atteindre, mais un processus toujours à refaire, rempli de silences, d’incertitudes, de blancs.

De même, le rapprochement de traces visuelles (photographies, peintures, timbres) et de traces écrites (lettres, messages, signatures) attire l’attention sur ce qui manque, ce qui n’est pas montré, pas dit afin de rendre le poème mobile, donc actif.

 

I think a poem, when it works, is an action of the mind captured on a page, and the reader, when he engages it, has to enter into that action. And so his mind repeats that action and travels again through the action, but it is a movement of yourself through a thought, through an activity of thinking, so by the time you get to the end you’re different than you were at the beginning and you feel that difference[27]. (Aitken)

 

 

Conclusion

 

Le montage d’archives fragmentées, hétéroclites et anachroniques permet l’élaboration d’un poème qui n’est pas un état, mais une action. Il expose une pensée en mouvement, en construction permanente à la manière du poème de Catulle sans arrêt déconstruit et reconstruit. Le récit final n’est pas figé, unique. Il ne s’agit pas de chercher à éclairer toutes les zones d’ombres. Il s’agit au contraire de montrer la nuit, d’ajouter de la nuit à la nuit, en tissant des formes, des mots, des fragments ensemble.

Ces associations libres permises par le montage créent le surgissement de ce qu’Aby Warburg nomme la survivance (Nachleben). Le concept de survivance est à rapprocher de la notion psychanalytique de « symptôme » : il ouvre la porte sur une mémoire inconsciente qui surgit comme « un nœud d’anachronismes où s’intriquent plusieurs temporalités » (Didi-Huberman, IS, p. 311). Georges Didi-Huberman parle du « choc des hétérogénéités » (Didi-Huberman, OH1, p. 86), une pensée dialectique qui refuse la résolution et la synthèse. C’est une « mise en avant des singularités pensées dans leurs relations, dans leurs mouvements et dans leurs intervalles » (Didi-Huberman, OH2, p. 13). Surgit alors une mémoire inconsciente qui travaille par simultanéité et par anachronisme, grâce à des intervalles. Simultanéité au sens où, comme l’explique Anne Carson dans une entrevue (Wachtel, p. 31), il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou que le présent éclaire le passé. Il y a des survivances de la culture antique incrustées dans l’ici et le maintenant. Dans Remontages du temps subi, Didi-Huberman ajoute également que la connaissance historique n’est pas le déplacement du point de vue dans le passé afin de le décrire « tel qu’en lui-même » (Didi-Huberman, OH2, p. 16). Ce n’est pas non plus l’éclaircissement du présent à la lumière d’un fait passé. C’est une expérience du présent dans laquelle émerge, « parmi l’immense archive des textes, images ou témoignages du passé, un moment de mémoire et de lisibilité qui apparaît [...] comme un point critique, un symptôme, un malaise dans la tradition qui, jusqu’alors, offrait au passé son tableau plus ou moins reconnaissable » (Didi-Huberman, OH2, p. 16).

En guise de symptôme, on peut penser aux photographies de famille dans Nox,  redécoupées autour des ombres. Carson explique :

 

I found that the front of most of our family photos look completely banal, but the backgrounds were dreadful, terrifying, and full of content. So I cut out the backgrounds, especially the parts where shadows from the people in the front fell into the background in mysterious ways. The arrière-plans are full of truth[28]. (Aitken)

 

Les photographies redécoupées, avec leurs ombres fantomatiques, rendent visible la mort future, et en même temps déjà là, des protagonistes. On est dans une forme d’anachronisme perturbant où ce n’est pas seulement le passé qui surgit par surprise dans le présent, mais aussi le futur qui s’immisce dans les traces passées.

Ernst Bloch disait que le montage est « une machine à lâcher les spectres de la mémoire et du désir inconscients selon un rythme d’intermittence fantomatique » (Bloch, dans Didi-Huberman, OH1, p. 134). La structure de Nox crée en effet une multiplication des anachronismes et construit un temps non conventionnel, hybride, dans lequel la chronologie s’effondre. Avec son accumulation de paradoxes, de survivances, de blancs, Nox construit cette mémoire mobile, à la différence de l’histoire linéaire qui, en tentant de canoniser le passé, le traite comme un objet mort, immobile (Didi-Huberman, OH1, p. 165).

 

 

[1] « Lorsque mon frère est mort, j'ai fait une épitaphe pour lui sous la forme d'un livre. En voici une réplique, aussi proche que possible de l’original. » (traduction personnelle)

[2] Anne Carson (2010). Nox. New York : New Directions Publishing.

[3] Traduction personnelle.

[4] Nox n’étant pas paginé, les références au livre reprennent donc l’organisation du récit en dix grandes parties proposée par Anne Carson.

[5] « Si vous photocopiez ou scannez parfaitement quelque chose, le résultat est brillant comme un livre de cuisine, mais si vous laissez un peu de lumière pénétrer dans la machine et que vous faites une mauvaise photocopie, vous obtenez tous ces bords et cette vie, vous obtenez ce que Currie [le mari de Carson] appelle la ''décomposition''. » (traduction personnelle).

[6]« J'ai finalement décidé que le deuil n’est pas une question de compréhension. Ou de lamentation. Il s'agit simplement de faire quelque chose de beau à partir de l'affreux chaos que vous laisse la mort de quelqu'un. Vous voulez que ce soit bien. Et pour moi, en faire quelque chose de bien signifie en faire un objet excitant et beau à regarder. » (traduction personnelle) « I finally decided that understanding isn’t what grief is about. Or laments. They’re just about making something beautiful out of the ugly chaos you’re left with when someone dies. You want to make that good. And for me, making it good means making it into an object that’s exciting and beautiful to look at.  » Dans Will Aitken (2004). « Anne Carson, The Art of Poetry no 88 », The Paris Review, Automne 2004, no 171, http://www.theparisreview.org/interviews/5420/the-art-of-poetry-no-88-anne-carson [Page consultée le 17 mars 2023].

[7] « C'est lorsque vous vous interrogez sur quelque chose que vous vous rendez compte que vous y avez survécu, et que vous devez donc le porter, ou le façonner pour qu'il se porte lui-même. » (traduction personnelle)

[8] «Il fabrique avec de la myrrhe un œuf aussi gros qu'il peut le porter. Puis il le teste pour voir s'il peut le porter. Ensuite, il creuse l'œuf, y met son père et rebouche le creux. Avec le père à l'intérieur, l'œuf pèse le même poids qu'avant. Après l'avoir rebouché, il transporte l'œuf en Égypte, au temple du soleil. » (traduction personnelle)

[9] « Je voulais remplir mon élégie de lumières de toutes sortes. Mais la mort nous rend avares. Il n'y a plus rien à dépenser, pensons-nous, il est mort. » (traduction personnelle)

[10] Traduction personnelle issue de la citation : « ‘light of my life’ as his widow says and oddly into me drops this expression my mother always used also. »

[11] « So I wanted to put the vanishing into the pictures, and if you cut out the people, there’s a lot of vanishing them. And some of them were empty anyway, oddly — another thing you discover when you look at your old family photographs, a lot of them are pictures of nothing. Very evocatives pictures of nothing. » «J'ai donc voulu intégrer la disparition dans les photos, et si l'on supprime les personnes, il y a beaucoup de disparition qui apparaît. Et certaines photos étaient vides de toute façon, curieusement - une autre chose que vous découvrez lorsque vous regardez vos vieilles photos de famille, c'est que beaucoup d'entre elles sont des photos sur rien. Des images très évocatrices de rien du tout. » (traduction personnelle) Anne Carson dans Eleanor Wachtel (2012). « An interview with Anne Carson », op. cit., p. 36.

[12] « Mon cher Michael, cela fait cinq ans, quatre mois et sept jours que je prie pour toi [...] J'aimerais avoir une adresse où je pourrais t'envoyer une boîte pour Noël. » (traduction personnelle)

[13] «Je ne veux pas en dire trop sur Michael.» (traduction personnelle)

[14] « Il n’avait rien à dire » (traduction personnelle).

[15] « But when I looked at that photograph after he died, it seemed to me his whole life is in that look. » « Mais lorsque j'ai regardé cette photo après sa mort, j'ai eu l'impression que toute sa vie était dans ce regard ». (traduction personnelle).

[16] « Sa voix était comme sa voix, mais avec quelque chose d'autre incrusté dedans, quelque chose de noir, de dense — elle s'est éclairée un moment quand il a dit "tête d'épingle" (Alors tête d'épingle, tu as déjà atteint la sagesse ?) puis elle est retombée dans le noir.» (traduction personnelle)

[17] «Maman est morte. Oui, je suppose qu'elle l'est. Elle a beaucoup souffert à cause de toi. Oui, j’imagine. Pourquoi n'as-tu pas écrit ? C'était difficile pour moi. Es-tu malade ? Non. Tu travailles? Oui.» (traduction personnelle)

[18] «Es-tu heureux?»

[19] « Because our conversations were few (he phoned maybe 5 times in 22 years) I study his sentences the ones I remember as if I’d been asked to translate them. » « Comme nos conversations étaient rares (il a téléphoné peut-être 5 fois en 22 ans), j'étudie ses phrases, celles dont je me souviens, comme si on m'avait demandé de les traduire.» (traduction personnelle)

[20] « Always conforting to assume there is a secret behind what torments you. » « C’est toujours réconfortant d’imaginer qu'il y a un secret derrière ce qui vous tourmente.» (traduction personnelle) (5.4)

[21] « nous voulons que l'autre ait un centre, une histoire, un récit qui ait un sens. Nous voulons pouvoir dire "Voici ce qu'il a fait" et "Voici pourquoi". Cela forme un verrou contre l'oubli.»  (traduction personnelle)

[22] « But over the years of working at it, I came to think of translating as a room, not exactly an unkown room, where one gropes for the light switch. I guess it never ends. A brother never ends. I prowl him. He does not end. »

[23] « Quand on cherche le sens d'un mot, quand on cherche l'histoire d'une personne, inutile de s'attendre à un déluge de lumière. Les mots humains n'ont pas d'interrupteur principal. Mais tous ces petits enlèvements dans l'obscurité. Et puis la toile lumineuse, grande, frissonnante, impénitente, qui s'accroche dans votre esprit quand vous revenez à la page que vous essayez de traduire... » (traduction personnelle)

[24] « In one sense it is a room I can never leave, perhaps dreadful for that. At the same time, a place composed entirely of entries. » (traduction personnelle).

[25] « Herodotos likes to introduce such informations with a word like ‘it is said’. »

[26] « What if you made a collection of lexical entries, as someone who is asked to come up with a number for the population of the Skythians might point to the bowl at Exempaios. » (7.1) « Et si vous faisiez une collection d'entrées lexicales, comme quelqu'un à qui l'on demande de d’estimer la population des Skythiens et qui pointerait le bol d'Exempaios.» (traduction personnelle)

[27] « Je pense qu'un poème, lorsqu'il fonctionne, est une action de l'esprit capturée sur une page, et le lecteur, lorsqu'il s'y engage, doit entrer dans cette action. Ainsi, son esprit répète cette action et voyage à nouveau à travers l'action, mais c'est un mouvement de vous-même à travers une pensée, à travers une activité de pensée, de sorte qu'au moment où vous arrivez à la fin, vous êtes différents de ce que vous étiez au début et vous sentez cette différence. » (traduction personnelle).

[28] « J'ai constaté que le premier plan de la plupart de nos photos de famille était tout à fait banal, mais que les arrière-plans étaient terrifiants et pleins de contenu. J'ai donc découpé les arrière-plans, en particulier les parties où les ombres des personnes à l'avant tombaient dans l'arrière-plan de manière mystérieuse. Les arrière-plans sont pleins de vérité.» (traduction personnelle)

 

Bibliographie :

  • Aitken, Will. « Anne Carson, The Art of Poetry no 88 », The Paris Review, Automne 2004, no 171, http://www.theparisreview.org/interviews/5420/the-art-of-poetry-no-88-anne-carson [Page consultée le 17 mars 2023].

  • Anderson, Sam. « Family album ». Nymag, 25 avril 2010, http://nymag.com/arts/books/reviews/65592/ [Page consultée le 17 mars 2023].

  • Barthes, Roland. Essais critiques. Paris : Seuil, 1964.

  • Barthes, Roland. La chambre claire : note sur la photographie. Paris : Cahiers du cinéma, Gallimard/Seuil, 1980.

  • Benjamin, Walter. Paris, capitale du XIXe siècle. Paris : Cerf, 1989.

  • Blanchot, Maurice. L’Entretien infini. Paris : Gallimard, 1969.

  • Brunet, Manon. « Le territoire de l’intime », dans Discours et pratiques de l’intime. Québec : Institut québécois de recherche sur la culture, 1993.

  • Carson, Anne. Nox. New York : New Directions Publishing, 2010.

  • Derrida, Jacques. Chaque fois unique, la fin du monde. Paris : Galilée, 2003.

  • Didi-Huberman, Georges. L’image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg. Paris : Minuit, 2002.

  • Didi-Huberman, Georges. Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire 1, Paris : Minuit, 2009.

  • Didi-Huberman, Georges.Remontages du temps subi. L’œil de l’histoire 2, Paris : Minuit, 2010.

  • Hérodote. Histoire. A. D. Godley : Cambridge, 1920.

  • Wachtel, Eleanor. « An interview with Anne Carson ». Brick, no 89, été 2014. En ligne: https://brickmag.com/an-interview-with-anne-carson/ [Page consultée le 17 mars 2023].

 

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À propos du/de la rédacteur.ice :

 

Artiste et écrivaine, Céline Huyghebaert mène actuellement un postdoctorat en recherche-création à l’Université Laval au Québec et à l’Université Bordeaux-Montaigne en France. Elle s’intéresse à la littérature visuelle et aux formes d’écriture hybrides. Elle est l’autrice du récit Le drap blanc (Le Quartanier, 2019). Elle a obtenu plusieurs reconnaissances, dont le prix Artiste dans la communauté (2023), la bourse Bronfman en art contemporain (2019) et le Prix littéraire du gouverneur général (2019).

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