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« Un volet, puis l’autre »

 

- Renée Zachariou

 

 

 

Je commence par ouvrir la fenêtre. Je tourne le pommeau ovale et doré vers la droite, puis je tire la vitre vers moi pour atteindre les volets. Je m’apprête à refermer les grandes lattes de bois blanc. Je prends une dernière inspiration, presque sur le balcon.

 

Cette fenêtre m’en rappelle une autre. Une fenêtre plus petite, sanglée par un volet vert sombre et coulissant. Elle ne donnait pas sur un balcon mais sur un grand arbre qui ne perdait jamais ses feuilles.

 

Chaque fenêtre a son odeur, et je pense que celle-là sentait surtout la poussière qui se logeait dans les travées du volet en plastique. La poignée était en acier lisse, douce et froide au toucher.

 

Je faisais d’abord coulisser la fenêtre, étirant le bras pour l’éloigner de mon torse. Une fois la fenêtre lovée dans la fente de la façade, il fallait se pencher pour attraper le volet et le glisser vers moi, avant de faire pareil avec la fenêtre.

 

À moins de décider de ne pas refermer le volet tout de suite.

 

Il n’y a plus rien à attendre de la journée, rien que le sommeil. Mais l’air du soir est plein de promesses, saturé d’une douceur inaccessible à l’air du jour.

 

J’ai ouvert la fenêtre, je n’ai plus qu’à fermer le volet. Ce moment n’existe pas, je voudrais qu’il dure toujours.

 

Je ne sais pas ce que j’attendais quand je restais à la fenêtre à dix-sept ans, après une journée passée à réviser dans ma chambre. J’attendais demain. J’attendais de devenir moi-même.

 

Je n’ai jamais su où donnait cette fenêtre, pour aller voir le pin de près. Je n’ai jamais voulu savoir. Je n’ai jamais vu de plan de mon quartier, quand j’étais petite cela n’avait pas d’importance, et aujourd’hui je respecte les mystères de la nuit. Je rêve parfois de l’espace autour de chez moi, et je suis toujours perdue. Irai-je un jour dans la petite maison oubliée entre les immeubles ?

 

Maintenant, je dors dans une ville que j’ai découverte la carte à la main, avec le fleuve pour repère. J’ai appris où étaient le nord et le sud, l’est et l’ouest. La fenêtre ne s’ouvre plus sur un secret.

 

J’écoute les bruits enveloppés par la nuit, une voiture, un chien, un mot. Je laisse mon regard trainer sur les immeubles d’en face.

 

Je ne veux pas de repères pour mon enfance.

 

Ma chambre, c’était mon monde. Les rues autour étaient plus imaginaires que réelles. Quand j’ouvrais la fenêtre, je voyais l’idée du monde extérieur. Un monde à portée de doigts, un monde qui m’attendait.

 

C’était ça, la promesse de l’air du soir : un jour, tu seras libre comme moi.

 

Le flou de la jeunesse s’est évaporé sans que je sente le soleil sur ma peau. Je n’éprouve plus le même optimisme secret, le soir, quand je ferme les volets.

 

Je suis accoudée au balcon. Je commence à avoir froid.

 

La chambre existe encore, et j’y dors parfois. Le soir, je fais coulisser la fenêtre, je ramène le volet, et l’adolescence me souffle au visage. Je m’installe à la bordure, je regarde le pin, l’immeuble derrière, l’immeuble à droite. La nuit me caresse. J’inspire son air tiède. Je regarde encore une fois, j’inspire encore une fois l’air tiède. À chaque fois, je me dis que c’est la dernière fois.

 

Puis je ferme les volets.

 

 

À propos du/de la rédacteur.ice :

 

À huit ans, j’attendais qu’Arsène Lupin fasse irruption dans ma salle de classe pour me sauver des dictées. Il n’est jamais venu, et j’ai passé beaucoup de temps sur les bancs de l’école, préférant les dissertations à l’imagination. Puis, comme Alice, je suis tombée de l’autre côté du miroir moiré de l’écriture. Je regarde dans le vide, je scribouille sur mon cahier et je copie-colle sur mon écran, à la recherche des souvenirs du roman à venir.

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