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« Le pillage des papiers d’Idea Vilariño : 

un exemple du destin des archives d’écrivaines latino-américaines

et caribéennes dans l’économie politique de la connaissance »

 

- Tamara Albarracín Sánchez

 

Introduction :

 

 

Et puis, bientôt nous serons tous morts et qui prendra soin de notre image[1].

(Vilariño, Diario de juventud 41)

 

La poétesse Idea Vilariño (1920-2009) est une figure incontournable de la « Génération de 45 » en Uruguay, qui a réuni d’éminent·es artistes et intellectuel·les, parmi lesquel·les Mario Benedetti, Amanda Berenguer, Ángel Rama, Emir Rodríguez Monegal et Ida Vitale. Ce groupe irrévérent et érudit a exercé une influence majeure dans la construction de l’imaginaire et de la culture uruguayen·nes contemporain·es. La fine maîtrise de la littérature nationale et mondiale leur a permis de se distinguer des générations antérieures « de 900 » et « du centenaire », en utilisant des formes innovantes et des intonations plus intimistes, quotidiennes et urbaines. Les représentant·es de cette « Génération critique » étaient aussi diplomates, éditorialistes, journalistes, militant·es, professeur·es et syndicalistes. Iels défendaient l’idée d’une « troisième voie » anti-impérialiste et internationaliste au sein de laquelle coexistaient plusieurs orientations politiques, incluant le marxisme-léninisme et l’anarchisme[2]. Une grande partie d’entre elleux sont condamné·es à l’exil pendant la dictature militaire (1973-1985). D’autres, comme Idea Vilariño restent en Uruguay, mais sont victimes de la censure et vivent reclu·ses, en insil[3].

Cette dernière grandit dans une famille de classe moyenne, marquée par les maladies chroniques et la mort précoce de ses parents ainsi que de son frère aîné Azul. Ses problèmes de santé la poussent à quitter très tôt le domicile familial. Dès l’adolescence, elle développe donc une conscience aiguë de la mort. L’écriture apparaît alors comme un moyen de laisser des traces, de s’éterniser. « Et je veux écrire ces mots parce que de temps en temps, le courant m’emporte[4] » - marque-t-elle dans son journal intime le jour de ses 21 ans (Vilariño, Diario 192).

Tout au long de sa vie, la conservation de ses papiers privés (brouillons, correspondances, journaux intimes, manuscrits originaux, etc.), a suscité de nombreuses tensions et déchirements chez Idea Vilariño. Elle a été incapable de les détruire car elle aurait eu l’impression de « […] brûler de la vie[5] ». Écrire de la poésie est « […] l’acte le plus privé de [sa] vie », réalisé comme par bienveillance envers elle-même. Dès lors, la tension entre le refus de mener une vie publique et la tentation de se montrer à travers son écriture est prépondérante lorsqu’elle prend conscience de son « […] destin poétique » (Vilariño, Diario 242).

Au terme de sa carrière littéraire, Idea Vilariño s’est méticuleusement constitué sa propre archive d’écrivaine, en réunissant les papiers qui rassemblent son univers (G. Pené). Après la mort de son ami et éditeur Alberto Oreggionni, elle lègue en 2005 cette archive à son amie et critique littéraire Ana Inés Larre Borges, directrice de la Revue de la Bibliothèque nationale de l’Uruguay, ainsi qu’à la journaliste Alicia Torres comme héritière suppléante. Après la mort de la poétesse et en application de la résolution du ministère de l’Éducation et de la Culture (MEC) du 20 mai 2010, celle-ci est confiée à l’Archive littéraire de la Bibliothèque nationale et déclarée monument historique national. La collection « Idea Vilariño » comprend les journaux intimes, une partie de la correspondance privée (reçue et envoyée),  des originaux de poèmes manuscrits et mécanographiques, des brouillons et versions finales de traductions, d’autres documents de travail divers (critiques, essais, notes, « rythmes », etc.), ainsi que des documents iconographiques et imprimés.

Cependant, les archives, par définition toujours incomplètes et fractionnées, peuvent combiner différents destins, comme c’est le cas de celles d’Idea Vilariño, qui ont été dispersées en deux autres lieux. En 2009, une nouvelle caisse apparaît[6] à la Sección de Archivo y Documentación del Instituto de Letras de la Faculté de Sciences Humaines et de l’Éducation de l’Université de la République d’Uruguay. La « Miscelánea Idea Vilariño » comprend des brouillons manuscrits et mécanographiques de certains poèmes de jeunesse inédits, des traductions, ainsi que d’autres documents non originaux (articles de presse, correspondances, entretien, notes de travail, extraits de son journal intime, photos, etc.). Puis, en 2017, Ana Inés Larre Borges découvre que certains des documents manquants lors de la réalisation de l’inventaire ont été secrètement et illégalement vendus à l’Université de Princeton par le petit-neveu d’Idea Vilariño, Leandro Funes Vilariño. La collection « Idea Vilariño’s papers » de la Firestone Library comprend des carnets de poésie, ainsi que d’autres documents[7] (carnets de travail, brouillons, correspondances, coupures de presse, épreuves de contrôles d’imprimeries, livres annotés, photographies de familles, etc.).

Un premier procès est ouvert pour non-respect des dernières volontés exprimées dans le testament d’Idea Vilariño vis-à-vis de ses papiers privés. En décembre 2018, une seconde plainte est déposée auprès de la Commission du Patrimoine Culturel de la Nation, pour infraction à la loi n°14.040 (1971) qui interdit la sortie du territoire de tout manuscrit historique et littéraire. S’il n’existe pas d’instruments juridiques pour pénaliser la vente, en 2020, ces papiers sont également déclarés monument historique national et rattachés juridiquement à l’archive de la Bibliothèque nationale. Cette décision, qui a aussi une portée symbolique, contraint la Firestone Library à lever les verrous d’accès payants aux carnets numérisés. Ce dossier a été ensuite transféré au Comité national de prévention et de lutte contre le trafic illicite de biens culturels, placé sous l’autorité du MEC. Aujourd’hui, c’est le ministère des Relations Extérieures, en lien avec le MEC, qui est chargé des négociations pour le rapatriement de ces documents en Uruguay.

À partir de l’étude de cas du conflit juridico-politique autour du pillage des papiers de la poétesse uruguayenne, cet article propose une analyse sociologique des phénomènes néocolonialistes d'accaparement et de concentration des archives d’écrivaines latino-américaines et caribéennes dans des bibliothèques et universités du Nord. Dans la première moitié du XXème siècle, les femmes occupent une place marginale dans l’historiographie de la littérature continentale : cantonnées aux écritures de l’intime, leurs écrits sont relativement ignorés dans les politiques nationales et globales de conservation, d’édition et de traduction. La défaillance des politiques étatiques de conservation du patrimoine littéraire conduit à la (re)privatisation et à la captation étrangère des papiers privés des écrivaines latino-américaines et caribéennes. Aujourd’hui, le regain d’intérêt pour les écritures de soi suscite de nouveaux phénomènes d’appropriation néocoloniale, s’inscrivant dans « l’économie politique de la connaissance » . La sociologue et militante bolivienne d’origine aymara Silvia Rivera Cusicanqui utilise ce concept, considérant que celui de « géopolitique de la connaissance » préféré par l’Argentin Walter Mignolo masque sa généalogie indigène et ne rend pas suffisamment compte de l’aspect matériel de la circulation transnationale des savoirs (Bolla). La réflexion proposée autour des conditions sociales de production, de diffusion, de réception et d’analyse des écritures de soi s’inscrit dans une perspective matérialiste, féministe et décoloniale.

 

I. La marginalisation des femmes dans l’historiographie de la littérature latino-américaine et caribéenne du début du XXème siècle

 

I. 1. « Ma poésie, c’est moi[8] » : le cantonnement des femmes aux écritures de l’intime

 

Le monde qui m’est fermé a un nom : il s’appelle culture. Ses habitants sont tous ceux qui appartient au sexe masculin. Ceux-ci se nomment eux-mêmes les hommes, et l’humanité leur faculté de vivre dans le monde de la culture et de s’y adapter[9] 

(Castellanos et Cano 82‑83).

 

Dans la première moitié du XXème siècle, l’accès moindre à l’éducation, l’assignation aux tâches de reproduction sociale et surtout à la maternité, qui place les femmes dans une situation de dépendance vis-à-vis des hommes, mais aussi l’absence d’un « lieu à soi », pour reprendre le titre de l’essai classique de la britannique Virginia Woolf, expliquent l’impossibilité de se dédier pleinement et professionnellement à l’écriture. Les femmes parviennent néanmoins à écrire, redoublant d’inventivité et se tournant vers des supports alternatifs comme les carnets de recette de cuisine et les journaux personnels. Ce genre est méprisé depuis sa féminisation au XVIIIème siècle (Lejeune), selon la règle bien connue qui veut que la féminisation d’une activité entraine sa dévalorisation.

La trajectoire d’Idea Vilariño se démarque cependant de ce modèle systémique car, malgré les difficultés économiques, celle-ci parvient très tôt à développer une pratique professionnelle de l’écriture. En parallèle, elle a tenu un journal intime quasiment toute sa vie, afin d’assouvir, écrit-elle, « cette absurde compulsion de tout noter[10] » (Vilariño, Diario 9). Un thème récurrent de tous les journaux intimes est la double impossibilité de vivre et d’écrire (Blanchot citée dans Magallanes et Romero-Saavedra 150) : « Je vis et, quand je n’en peux plus, j’écris[11] » (Vilariño, Diario 242).  Idea Vilariño a développé très tôt un rapport compulsif aux mots, à travers l’écriture et la lecture, comme sa principale et première façon d’être et de se relier au monde. Ne faisant pas de différence entre « ce papier [sa] vie[12] », elle s’est arrêtée d’écrire aux moments les plus difficiles, comme après la mort de sa mère, deux jours avant l’anniversaire de ses 20 ans. Pour elle, l’écriture s'apparente à une fonction vitale de l’organisme : « moi, qui écrivais comme je respirais[13] » (Vilariño, Recobrados II 293). De même, les mots ont une  dimension nourrissante : « […] et tomber les mots comme pluie à ta plante[14] » (Vilariño, Recobrados I 297). Le poème « Es una vena triste » révèle ce rapport corporel à l’écriture, comme lorsqu’elle dit être « […] ouverte par la peau comme une plume[15] », puis qu’elle établit une correspondance entre ses livres et ses cheveux pour évoquer sa respiration : « je sens palpiter mon sang je touche / mes livres mes cheveux noirs je respire[16] » (Vilariño, Recobrados I 337‑39). Écrire lui permet de capturer le réel, toujours fuyant et éphémère, de répondre à « cette angoisse de voir[17] » (Vilariño, Recobrados I 227). C’est « […] une façon de retenir la vie qui s’en va comme de l’eau », de « […] récupérer [sa] vie qui [lui] échappe[18] » (Cité dans Larre Borges Idea 49). Ce récit lui permet de témoigner, de faire exister les choses et de rendre compte de son existence, cette « secrète épopée de silence / qui ne sera pas oubliée[19] » (Vilariño, Recobrados II 349). L’écriture joue enfin le rôle de « triste miroir[20] » (Vilariño, Diario 424), mis au service d’une quête introspective. « Je me suis regardée jusqu’à me faire peur à moi-même[21] », écrit-elle ainsi dans son journal à 22 ans (Vilariño, Diario 9).

 

Le travail sur les archives d’Idea Vilariño a fait émerger des formes moins classiques des écritures à la première personne dans sa correspondance ou sa poésie. Certains titres font directement référence à des adresses où elle a vécu comme « Poema de Yacó y Almería » (Vilariño, Recobrados II 19‑23) ou « Calle Inca » où elle raconte « […] ces années de fête[22] » de l’enfance (Vilariño, Poesía completa 166). « Muero », « Mi joven madre » ou « Todo esto la vida lo que amé » reprennent les thèmes, les noms des personnes de son enfance, de son adolescence et de sa vie adulte (Vilariño, Recobrados II, 179-81, 325-27, 331‑33). Cependant, plus que la véracité des propos, c’est l’autoreprésentation, performative, qui fonde son écriture de soi, une mise en scène de sa propre vie (Magallanes et Romero-Saavedra) :

 

Je veux dire quelque chose : tout ce que j’ai traduit en poèmes, tout ce que je recopie dans mon carnet de poésies, ce sont les seules choses que j’ai vraiment vécues. Tout ce que je dis ressentir qui ne s’appuie pas sur un poème, pourrait ne pas être vrai[23] (Vilariño, Diario 232).

 

À partir des années 60, elle étoffe les anthologies passées de nouveaux poèmes inédits, selon un processus éditorial qui lui est propre (Bartalini). Elle classe l’ensemble de ses poèmes en trois grandes catégories : Poemas de amor (liés à l’amour, l’érotisme et la sexualité) ; Nocturnos (philosophiques et nihilistes, sur le rapport à la vie et à la mort) ; et Pobre mundo (sur les environnements naturels et politiques). Cela témoigne des continuités thématiques tout au long de la vie d’Idea Vilariño, pour qui le sentiment prime sur l’anecdote personnelle. Avec un style épuré et des mots simples, elle cherche à être concise pour toucher un public le plus universel et atemporel possible. Idea Vilariño écrivait pour « […] enregistrer la beauté[24] », pour « […] chanter des choses de la vie[25] » (Vilariño, Diario 9). Ainsi, les écritures féminines de l’intime peuvent également avoir une visée universelle et contemplative, contrairement à ce qu’affirment parfois certains de leurs homologues masculins pour les tenir exclues des cercles littéraires qu’ils contrôlent.  Les rares écrivaines qui parviennent à intégrer ces espaces d’entre soi le doivent souvent à l’implication décisive de certains de leurs collègues, comme le critique littéraire Emir Rodríguez Monegal dans le cas d’Idea Vilariño (Torres). Elles peuvent ensuite y subir un fort scepticisme et des violences. Idea Vilariño elle-même était probablement encore plus sévère dans ses critiques envers les poétesses, considérant que beaucoup « […] usurpent le titre » (Vilariño, Antología 9). Certes, elle reconnaissait que ses contemporaines ne s’en tenaient pas plus qu’elle à parler de la vie familiale, et qu’elles évoquaient aussi la conflictualité politique, la guerre et la mort. Cependant, elle reproduisait aussi certains stéréotypes sur l’écriture féminine, souvent jugée immature, sentimentaliste et outrancière dans son traitement de la sexualité – alors même que son poème « El amor » a été censuré par ses « camarades » de Marcha, à cause de l’image d’un «  […] mouchoir avec du sang, du sperme et des larmes[26] » (Vilariño, Poesía completa 213). À la suite de cette polémique, en 1955, elle quitte la rédaction de l’hebdomadaire où elle collaborait activement depuis 1948. Cet épisode témoigne de la hiérarchie et de la division sexuelle du travail dans ces revues, très fréquentes au XXème siècle. Les tâches de direction étaient accaparées par les hommes, tandis que les femmes s’impliquaient souvent de façon précaire, gratuite et invisible dans des tâches plus collectives, les détournant de leur création individuelle. Idea Vilariño a par exemple participé à la création de Clinamen et de Número, où elle publiait parfois sous des pseudonymes.

 

I. 2. La circulation transnationale des écrits de femmes latino-américaines et caribéennes

 

Au XXème siècle, les écrivains latino-américains et caribéens revendiquent une place dans la littérature hispanophone, mais ce combat laisse souvent derrière lui les écrivaines, dont les apports sont fréquemment minimisés voire invisibilisés. Alors que certain·es considèrent que la chilienne María Luisa Bombal est la véritable inventeuse du réalisme magique, on retient généralement le vénézuélien Arturo Uslar Petri, le colombien Gabriel García Márquez ou encore le mexicain Juan Rulfo. De même, la colombienne Albalucía Ángel a été oubliée du boom latino-américain (1960-1970).

Ce n’est qu’après la dictature qu’Idea Vilariño accède au statut de professeure d’université. Même si un femmage plus important lui fut rendu à l’Université de la République d’Uruguay, une dizaine de personnes seulement étaient présentes lors de sa cérémonie funéraire. En contraste, l’enterrement de Mario Benedetti, quelques semaines plus tard, a réuni autour de deux mille personnes lors d’un deuil national. Dans le prologue de son Antología poética de mujeres hispanoamericanas: siglo XX, cette dernière regrette sa méconnaissance de ses contemporaines de la région – qu’elle attribue à l’invisibilisation généralisée de la production littéraire des femmes et au manque de circulation des livres entre les pays de la région (Vilariño, Antología 7).

L’Uruguay dispose d’une quantité importante d’écrivaines mal connues à l’étranger, en comparaison avec les figures canoniques de Horacio Quiroga, Juan Carlos Onetti, Mario Benedetti et Eduardo Galeano – eux-mêmes parfois associés à tort à l’Argentine. L’ignorance mutuelle des auteur·ices de la région s’explique en partie par la structuration du marché du livre hispanophone dominé par des maisons d’édition espagnoles (Millán). Certains livres sont plus facilement accessibles en Europe que dans les pays voisins. La globalisation de la littérature conditionne aussi l’écriture. Celle-ci doit être la plus lisse et « neutre » possible, et effacer les particularismes linguistiques locaux, comme le voseo rioplatense[27] afin d’être le plus facilement consommable et traduisible. Si la traduction de textes produits depuis la « différence coloniale » (Mignolo, Connaissance) peut jouer un rôle dans la décolonisation des imaginaires, les politiques de traduction tendent en général à reproduire les rapports sociaux de domination – comme en témoigne la première carte de la traduction mondiale réalisée par l’Institut Cervantès[28].

Les politiques éditoriales jouent enfin un rôle essentiel dans la canonisation de certain·es auteur·ices. Malgré une culture du livre omniprésente, l’Uruguay se caractérise paradoxalement par une faible politique de réédition des vieilles œuvres, qui affecte particulièrement les écrits des femmes. Triste ironie du sort, prouvant bien le propos de son autrice, cité plus haut, cette anthologie de poétesses hispano-américaines publiée en 2001 est elle-même impossible à trouver aujourd’hui en Uruguay. Seul un exemplaire est disponible à la consultation sur place dans la bibliothèque du Palais législatif. Cependant, le regain d’intérêt récent pour la littérature des femmes conduit à des politiques éditoriales plus volontaristes vis-à-vis des écrivaines contemporaines et passées, agissant comme des contre-mouvements de résistance culturelle.

 

 

II. La conservation du patrimoine littéraire latino-américain et caribéen : entre privatisation et captation étrangère

 

La création récente de la loi n°18.220 (2007) attribue à l’État uruguayen des compétences pour la mise en œuvre de la politique nationale d’archive, ce qui témoigne de la prise de conscience de cet enjeu et de la nécessité de développer une formation universitaire publique qui puisse soutenir la professionnalisation de ce secteur. En effet, une politique d’archives ambitieuse implique non seulement un budget alloué, des espaces et équipements adaptés, mais aussi un personnel qualifié disposant d’un savoir spécifique sur les conditions générales de conservation afin d’éviter la détérioration des documents.

D’après Horacio Tarcus, ancien sous-directeur de la Bibliothèque nationale de la République argentine, la défaillance des politiques publiques de conservation patrimoniale conduit à trois issues possibles pour les archives d’écrivain·es (Tarcus). Une première possibilité est celle du maintien entre des mains privées (les héritier·es direct·es, souvent la famille ou les ami·es). Une autre consiste en l’acquisition (parfois illégale) par des collectionneur·ses : c’est le destin que Juan Carlos Onetti avait prédit pour les papiers de son amante, qu’il imaginait rachetés par un riche collectionneur japonais à Londres (Larre Borges, Bajo). Enfin, la troisième possibilité est celle de la vente à des centres ou universités étrangères.

 

II. 1. « L’État [et ma famille] ne prennent pas soin de moi, ce sont mes amies qui le font[29] »

 

La constitution d’une archive suppose le passage du domaine du privé au public. Cependant, le désengagement de l’État conduit souvent à la (re)privatisation de la propriété et de la conservation de ces documents patrimoniaux. Les écrivains ont tendance à léguer leurs papiers aux femmes de leur famille, en premier lieu, leurs épouses. Ainsi, les lourdes tâches de mémoire et de préservation du patrimoine permettent la reproduction socioculturelle, selon un principe de division genrée du travail. À défaut de créer directement pour elles-mêmes, les femmes se chargent de protéger, de reproduire, de faire perdurer et de transmettre le patrimoine culturel.

À l’inverse, les hommes de leur famille trahissent souvent les volontés des écrivaines, par la censure, le manediting[30] ou par la vente, comme l’a fait l’héritier d’Idea Vilariño, en monnayant ses archives auprès de l’université de Princeton. Les écrivaines préfèrent parfois confier leurs papiers en priorité à des amies, lesquelles continuent ainsi à être leurs confidentes privilégiées et à garder leurs secrets, même après la mort. À 25 ans, Idea Vilariño adresse son premier testament littéraire à sa sœur Alma et à son amie Mirtha, chargées de prendre soin de ses précieux papiers et de détruire ses carnets et poèmes raturés. Il lui importe que ses « frères » soient « fidèles à [sa] mémoire, et à celle de [ses] parents, et à eux-mêmes[31] » (Vilariño, Diario 489). Sa principale inquiétude, qu’elle exprime dans la phrase citée en exergue de cet article (« qui prendra soin de notre image » ?), n’est autre que celle du jugement d’autrui après sa mort. C’est donc en lieu et place de l’État que des individu·es réalisent cette lourde tâche. Cela ne se fait pas, évidemment, sans douloureux questionnements internes épistémologiques et déontologiques, témoignant parfois d’un sentiment ambivalent entre la fidélité et la critique. Enfin, la (re)privatisation de la tâche d’intérêt public de patrimonialisation des papiers d’écrivain·es suscite aussi une interrogation sur leur destin après la mort des héritier·eres.

 

II. 2. « Mon héritage inaliénable et douloureux[32] » : le pillage des archives d’écrivain·es latino-américain·es et caribéennes

 

D’après Horacio Tarcus, le drainage patrimonial est une forme d’aliénation culturelle spécifique aux pays du Sud, qui ne parviennent pas à retenir le capital culturel au sein de leurs frontières, qui est drainé par les pays riches (Tarcus). L’exemple le plus criant est probablement celui de la partition originale de l’hymne uruguayen qui se trouve à la bibliothèque du Congrès de Washington (Abreu). Le reste de l’archive du musicien Lauro Ayestarán et de son épouse, la compositrice Graciela Paraskevaídis, est gérée par la fondation de leur fille, sans aide de l’État.

Idea Vilariño quant à elle, n’ayant pas eu d’enfants, elle avait désigné en 2004 sa sœur Poema avec qui elle vivait à la fin de sa vie, comme héritière universelle. Cependant, celle-ci meurt finalement avant elle, en 2006. L’héritage passe alors à Numen, le plus jeune frère de la famille, dont elle avait pris soin de l’éducation et de la formation musicale, mais avec qui elle ne s’entendait plus. Lui et sa fille Elena, seule figure de la nouvelle génération, refusent la succession de Poema, puis d’Idea Vilariño, endettée. Finalement, c’est Leandro Funes Vilariño, le fils d’Elena, qui récupère l’ensemble des biens matériels de la poétesse. En 2016, avec l’aide de la librairie Linardi y Risso, ce dernier a vendu des archives disparues et donc vraisemblablement volées à l’Université de Princeton dans des conditions encore peu claires. Une partie des documents déclarés manquants lors de la constitution de l’archive d’Idea Vilariño sont réapparus à Princeton, ce qui a permis à Ana Inés Larre Borges de dater le vol entre 2002 et 2006.

 

Le cas du pillage des archives d’Idea Vilariño n’est pas isolé et plutôt emblématique à plusieurs égards. Pour cette raison, plusieurs archives d’écrivain·es latino-américaine·es et caribéen·nes se trouvent actuellement en Europe ou aux États-Unis. Cependant, la bibliothèque Firestone de Princeton, créée dans les années 70 à la suite de la donation de l’écrivain chilien José Donoso, est probablement celle qui a la plus importante politique de drainage de cette littérature latino-américaine « moderne ».  Elle dispose actuellement de 104 collections, incluant celles du Colombien Gabriel García Márquez, et des Argentins·es Julio Cortázar, Silvina Ocampo et Alejandra Pizarnik dont les papiers ont connu un destin assez similaire à celui d’Idea Vilariño[33].

 

 

III. L’appropriation des archives de soi dans l’économie politique de la connaissance littéraire

 

III. 1. La valeur heuristique des archives de soi

 

Le récent tournant archiviste dans les sciences humaines et sociales a permis de porter un regard nouveau sur les écritures de l’intimité. Depuis toujours abondantes en Amérique latine et dans les Caraïbes, les écritures de soi ont longtemps été marginalisées, voire méprisées (Larre Borges, Escrituras) – probablement parce qu’associées à une pratique exclusivement féminine. Aujourd’hui, la multiplication des publications de correspondances privées et de journaux intimes témoigne d’un intérêt nouveau des lecteur·ices et de la critique pour ce genre littéraire qui n’est plus exclusivement posthume. Idea Vilariño a notamment participé à la préparation de son ouvrage biographique La vida escrita (2007). Dès 1987, elle commence à recopier à la main les journaux intimes tenus toute sa vie pour qu’ils soient conservés et publiés après sa mort.

D’après Ana Inés Larre Borges, malgré d’inévitables réarrangements, silences et destructions, ce processus s’est fait sans corrections majeures, avec respect et fidélité envers la personne qu’elle avait été, avec une certaine « éthique » envers l’écriture autobiographique (Larre Borges, Idea). Certes, au moment de se (re)lire, Idea Vilariño intervient, réinterprète et résume ce récit passé, casse la chronologie. La réécriture de soi reste cependant une forme d’écriture de soi. De plus, cette pratique atteint les mêmes objectifs cités plus haut et notamment ceux de se regarder et de se (re)raconter.

La publication du Diario de juventud (2012) a prouvé l’intérêt heuristique d’un travail approfondi sur les archives de soi. Le journal démarre en 1935 et s’arrête en 1945, date de naissance de la génération éponyme et maturité d’Idea Vilariño comme poétesse avec la publication de La Suplicante. Le livre intègre également une mémoire d’enfance et d’adolescence écrite dans les années 70 et adossée par la poétesse comme prémisse, ainsi que des photos et d’autres documents originaux qui illustrent le récit. On y voit se dessiner la personnalité de celle qui se renomme elle-même, abandonnant progressivement le prénom d’Elena, pour devenir Idea (son deuxième nom, choisi par son père anarchiste). Cependant, face à cela, ce qu’elle dit à propos de sa compatriote, la poétesse Delmira Agustini (1886-1914) vaut aussi pour elle-même : « Je veux juste me dire que les papiers ne montrent qu’une – ou plusieurs – Delmira, mais partielle, et que nous ne la connaitrons jamais[34] » (Vilariño, Diario 13).

 

Ce journal de bord fait alors entrer dans la maison d’Idea Vilariño. Cette dernière y rendait compte des principaux évènements de sa vie, mais aussi des anecdotes d’apparence plus banales loin des canons classiques des biographies (ses routines, les musiques qu’elle écoute, les tâches domestiques et les petits emplois alimentaires qui la fatiguent). Ce livre témoigne également du voyage initiatique à l’amour, à l’érotisme et au plaisir d’une jeune femme coquette. Elle narre ses premières relations affectives, avec le poète Emilio Oribe, son professeur de philosophie, de trente ans son aîné, mais aussi celle, plus domestique, avec l’écrivain argentin Manuel Arturo Claps. Nous découvrons aussi les tourments de ses amitiés, et notamment sa relation avec Silvia Campodónico. Dans ses journaux intimes, Idea Vilariño retranscrit une partie de sa correspondance – ce qui fait émerger un récit biographique alternatif et polyphonique venant enrichir la compréhension des textes connus.

De plus, cet ouvrage permet de dépasser la simple approche historicisante des archives et de rompre les frontières entre l’œuvre d’art et le document puisque les journaux intimes sont désormais considérés comme faisant partie intégrante de l’œuvre (Larre Borges, Escrituras). Le travail sur les archives d’Idea Vilariño a également permis la publication en ligne de deux volumes de poèmes inédits « rescapés » des journaux intimes (Poemas recobrados I y II) - amplifiant la création de la poétesse, à titre posthume. Ainsi, les archives informent sur le processus créatif d’Idea Vilariño, en dévoilant les techniques et les conditions de son écriture (solitude, espace à soi et intensité). Les erreurs, tâtonnements et corrections visibles permettent de dialoguer avec les écrits publiés et de montrer l’évolution chronologique de son parcours.

Son œuvre prolifique semble inépuisable, notamment au regard des multiples facettes de celle qu’on surnommait « la femme-orchestre ». Le travail mené sur les archives a également permis la réédition de certains ouvrages de prose et de critique littéraire comme El tango (2014), La masa sonora del poema (2016) et De la poesía y de los poetas (2018).  Certaines périodes de sa vie moins bien documentées que d’autres mériteraient d’être étudiées plus en profondeur, comme son enfance et la dictature où ses entrées sont plus laconiques et espacées. Les journaux intimes entre 1969 et 1980 auraient disparu d’un coffre-fort à la banque où Idea Vilariño les aurait déposés avec des médailles et trophées, avec Jorge Liberati, qui fut son mari pendant une dizaine d’années (Larre Borges Idea 45). Cependant, le fait que certains textes de cette période soient réapparus par la suite interroge. Par ailleurs, sur les dix-sept carnets légués, couvrant la période de 1937 à 2007, seuls cinq ont été utilisés pour le Diario de juventud. Bien que ce soit la volonté exprimée de la poétesse, il n’est pas encore garanti que tout soit publié un jour.

 

Avec au total plus de 200 collections, la Bibliothèque nationale de l’Uruguay a développé une politique importante de sauvetage, de conservation, de recherche et de publication sur les papiers d’écrivain·es. Cependant, en ce qui concerne l’œuvre d’Idea Vilariño, les équipes de l’archive littéraire ont été freinées par cet éloignement des archives physiques, empêchant de nouvelles études et publications – d’autant plus que tous les documents ne sont pas accessibles en ligne. Mais surtout, le temps et l’énergie dépensés dans les procès pour compléter et réunir l’archive ont détourné ces professionnel·les-archivistes de la mémoire écrite de leur travail.

III. 2. En terres étrangères : enjeux épistémiques sur la domiciliation des archives littéraires latino-américaines et caribéennes

 

Les archives constituent une nouvelle ressource disputée et accaparée et leur domiciliation en dehors des frontières nationales du pays d’origine des auteur·ices s’inscrit dans une logique extractiviste, au cœur de « l’économie politique de la connaissance » (Rivera Cusicanqui 65). Ces archives ne constituent plus une « hérésie » du capitalisme, régies par la logique du don plutôt que celle du marché (Goldchluk 7). Certes, ces papiers ne sont pas toujours signés et ils ne sont pas immédiatement consultables ou commercialisables. Ils doivent d’abord être transformés en collections. Au milieu des trésors apparaissent également des documents pouvant paraître insignifiants, mais qui nécessitent la même attention. Les universités étrangères externalisent souvent ce travail long (et parfois monotone) de constitution des archives qu’elles acquièrent déjà organisées. Dès lors, ces papiers « sortent du pays convertis en matière première » (Rivera Cusicanqui 68). Le véritable fétichisme de l’archive, c’est de la faire passer pour de la matière brute, avec une valeur intrinsèque, en invisibilisant ce travail méticuleux et souvent gratuit de classification et de contextualisation.

Comme le montre Silvia Rivera Cusicanqui, la « structure du pouvoir académique » s’incarne dans une économie, souvent occultée, de privilèges matériels et symboliques, et d’interactions néocoloniales. Par le biais de bourses et d’invitations, les migrations du Sud vers le Nord, continuent de perpétuer cette division internationale du travail scientifique. Les universités étasuniennes externalisent la formation publique, coûteuse des étudiant·es étranger·es qui leur apportent ensuite leurs connaissances et compétences.

En 2018, Ana Inés Larre Borges elle-même a obtenu une bourse de recherche des Amis de la Bibliothèque de Princeton pour aller travailler deux semaines sur des collections volées dont elle avait pourtant la charge juridique. Les politiques du Nord de drainage des collections et des cerveaux tendent ainsi à renforcer ces centres de pouvoir académique, tandis que s’accentue la crise des universités publiques sur le continent avec des capacités de production en constante réduction. Ainsi, parfois, ce sont les auteur·ices qui, de leur vivant, font le choix de céder leurs papiers à des universités ou bibliothèques étrangères. La Chilienne Diamela Eltit, la Mexicaine Elena Garro ou encore la Nicaraguayo-Salvadorienne Claribel Alegría, ont toutes vendu leurs archives à l’Université de Princeton – conscientes qu’elles seraient mieux conservées que dans leur propre pays, ce qui contribue à terme à naturaliser la différence coloniale. Ces politiques affectent également les opportunités de recherche des pays du Sud et du Nord, ce dont témoignait Idea Vilariño :

 

Il aurait fallu pouvoir compter sur une de ces bourses qui permettent à n’importe quel étudiant nord-américain de connaître des pays, de visiter des villes, de consulter les œuvres complètes de telle ou de telle autre, d’en apprendre davantage sur les groupes ou mouvements auxquels elles ont appartenu, de récolter les données bibliographiques qui manqueront parfois ici[35] (Vilariño, Antología 7).

 

La domiciliation des archives littéraires latino-américaines et caribéennes hors de leurs frontières nationales invite également à une réflexion sur la production de la connaissance qui est toujours située, partielle et partiale (Haraway). Cet accaparement conduit à perpétuer la dépendance épistémique, garantissant aux universités du Nord un rôle d’émission centrale dans la production globale des savoirs critiques, qui tous suivent des « routes de dispersion » identiques, partant d’un « même point d’origine » (Mignolo, Sensibilité). L’appropriation de ces savoirs critiques à l’échelle individuelle par les chercheur·es du Nord constitue aussi le socle de cette économie globale de la connaissance. De plus, ce déracinement pourrait aboutir à une mauvaise contextualisation d’un petit pays comme l’Uruguay qui souffre déjà d’une relative méconnaissance à l’étranger. On peut également se demander si dans cette traversée transnationale, l’étude de la poésie d’Idea Vilariño, « sous et avec les yeux » du Nord, ne court pas le risque de traductions « fautives » et « géopolitiques », d’analyses universalisantes, lisses et domestiquées (Mohanty, Sous les yeux; Traversées), qui occulteraient par exemple ses écrits les plus politiques, fermement anti-impérialistes.

 

 

Conclusion

 

La fuite des archives d’Idea Vilariño est un cas emblématique des phénomènes d’appropriation dans l’économie globale de la connaissance littéraire. En plus d’octroyer des bourses aux étudiant·es uruguayen·nes, la négociation pourrait aboutir à ce que l’Université de Princeton termine de numériser l’archive et la restitue entièrement à l’Uruguay. Aujourd’hui, certaines institutions ont évolué vers des formes de « collaborations non colonisées » (Tarcus). Cet objectif de démocratisation se trouve, par exemple, au cœur du projet scientifique et éditorial transnational du Centre de Recherches Latino-Américaines de Poitiers, qui possède notamment l’archive de l’écrivaine uruguayenne Armonía Somers. Avec pour objectif de sauvegarder le patrimoine littéraire latino-américain récent, ce centre est transparent et critique sur l’acquisition et la domiciliation de ses différents fonds documentaires. De plus, il met en œuvre une politique de numérisation ambitieuse, ce qui permet de démocratiser l’accès à ces matériaux, en même temps que de dé-fétichiser les manuscrits originaux (Tarcus). La Bibliothèque nationale de l’Uruguay préconise également des éditions numériques, comme pour les Poemas recobrados, un format particulièrement adapté pour les textes non édités, qui ont souvent plusieurs versions. La possibilité d’ajouter des commentaires à la marge permet une transcription et une révision critique moins linéaires et plus rhizomatiques, laissant libre cours à la multiplication et à la superposition des points de vue et des analyses.

La numérisation permet également de remédier à certaines logiques autoritaires de la patrimonialisation. En effet, la concentration dans les bibliothèques publiques peut aussi conduire à des formes de privatisation du savoir qui conditionnent la recherche à des relations interpersonnelles et attribuent à des individu·es un pouvoir discrétionnaire sur des œuvres appartenant au patrimoine public (Goldchluk).

Le patrimoine est un concept qui s’inscrit dans la construction coloniale-patriarcale de nos sociétés et tend à la reproduction des structures sociales de domination. L’archive est un espace de parole du pouvoir étatique qui établit une hiérarchie entre différents produits culturels. Ce geste de sacralisation permet à l’État de définir et contrôler la mémoire et l’histoire nationales (G. Pené). La conservation dans des espaces somptueux et privilégiés du savoir, de ce qui fait déjà autorité comme de la « grande littérature » se fait au détriment d’auteur·ices qui demeurent inconnu·es et marginaux·les. Si en Amérique latine et dans les Caraïbes celleux jugé·es classiques et incontournables peinent déjà à être protégé·es malgré ce statut privilégié, qu’en est-il des écritures populaires et subalternes, comme celles des écrivaines afro-uruguayennes, qui font d’autant plus l’objet de violences épistémiques ?

 

[1] « Por otra parte, pronto nos moriremos y quién cuidará nuestra imagen ». Sauf indication contraire, toutes les traductions sont personnelles.

[2] Je tiens à remercier chaleureusement Lucía Campanella pour sa relecture attentive de cet article et ses commentaires instructifs, notamment sur le contexte historique, culturel et politique de la deuxième moitié du XXème siècle en Uruguay.

[3] Néologisme créé en miroir à la notion d’exil, l’insil désigne l’expérience de repli sur soi et, souvent vers « l’intérieur » du pays, des populations restées en Uruguay pendant la dictature, qui ont été réduites au silence et invisibilisées.

[4] « Y quiero escribir esto porque de vez en cuando la corriente me arrastra ».

[5] « Quemar vida ».

[6] Les conditions d’obtention et la domiciliation de cette archive sont également source de litiges en Uruguay. Voir à ce sujet les différents articles de presse : https://brecha.com.uy/claro-sobre-oscuro/ ; https://brecha.com.uy/la-decada-en-que-estuvieron-en-ninguna-parte/.

[7] Voir détail : https://findingaids.princeton.edu/catalog/C1567.

[8] « Mi poesía soy yo ».

[9] « El mundo que para mí está cerrado tiene un nombre: se llama cultura. Sus habitantes son todos ellos del sexo masculino. Ellos se llaman a sí mismos hombres y humanidad a su facultad de residir en el mundo de la cultura y aclimatarse en él ».

[10] « Esta absurda compulsión de anotar ».

[11] « Yo vivo y, cuando no puedo más, escribo ».

[12] « Este papel mi vida ».

[13] « yo que escribía como respiraba ».

[14] « Deja que te consuma la vida y entretanto / contempla como nubes, nomás, subir el canto / y caer las palabras como lluvia a tu planta ».

[15] « abierta por la piel como una pluma ».

[16] « siento latir mi sangre toco / mis libros mis cabellos negros aspiro / este perfume que uso, veo la luz ».

[17] « esta angustia de ver ».

[18] « recoger mi vida que se me escapa ».

[19] « Y una oculta epopeya de silencio / que no será olvidada ».

[20] « triste espejo ».

[21] « Me he mirado hasta asustarme de mí misma ».

[22] « aquellos años fiestas ».

[23] « Quiero decir esto: todo lo que he plasmado en poesías, todo lo que paso a la libreta de poesías, es lo único que he vivido verdaderamente. Todo lo que yo diga sentir que no esté apoyado por un poema, puede no ser cierto ».

[24] « [...] grabar belleza ».

[25] « […] cantar cosas de la vida ».

[26] « […] un pañuelo con sangre semen lágrimas ».

[27] Particularité linguistique propre à l’Argentine et à l’Uruguay où la deuxième personne du singulier « tú » est remplacée par « vos », ce qui affecte également la conjugaison des verbes.

[28] Parmi les vingt auteur·ices hispanophones les plus traduit·es au monde entre 1950 et 2021, on ne compte que deux femmes : la chilienne Isabel Allende et l’espagnole María Isabel Sánchez Vegara. Ensuite, sur les vingt autrices les plus traduites, plus de la moitié écrivent depuis l’Espagne, révélant la marginalisation de la production littéraire, pourtant abondante, du continent latino-américain et caribéen. Enfin, le plus surprenant, peut-être, est que bien qu’elles aient signé certains des ouvrages ayant le plus circulé dans le monde, ces femmes sont le plus souvent inconnues du grand public. Car il s’agit avant tout d’albums pour enfants, de guides touristiques, de livres éducatifs et d’astrologie. Pourtant, les femmes produisent d’autres formes de littérature, mais celles-ci sont ignorées à l’échelle nationale et circulent moins bien, moins loin et moins vite que celles de leurs homologues masculins. https://mapadelatraduccion.cervantes.es/. Consulté le 8 avril 2023.

[29] « El Estado [y mi familia] no me cuida[n], me cuidan mis amigas  ». Slogan féministe très populaire en Amérique latine et dans les Caraïbes.

[30] Ce terme est utilisé par la journaliste britannique Helen Lewis, dans Difficult Women: A History of Feminism in 11 Fights, pour désigner la pratique masculine d’édition et de domestication de textes écrits par des femmes.

[31] « Solo me preocupa que mis hermanos sean fieles a mi memoria, y a la de nuestros padres, y a sí mismos ».

[32] « Mi herencia irrenunciable y dolorosa » (Vilariño et Sarner 25). Traduction du poème « Eso » par Éric Sarner.

[33] En effet, ses papiers ont d’abord été trouvés, organisés et protégés par des amies, la poétesse argentine Olga Orozco, l’éditrice Anna Becciú et Martha Moia, qui les fait sortir du pays en 1977, pour éviter l’autodafé pendant la dictature argentine (1976-1983). Cet exemple rappelle qu’en plus du pillage néocolonial, la domiciliation des archives littéraires latino-américaines et caribéennes de la période récente s’inscrit souvent aussi dans l’histoire des déplacements forcés et des exils politiques. C’est ensuite l’écrivain argentin et ami de Pizarnik, Julio Cortázar qui vivait à Paris, qui récupère ces documents. Après sa mort, sa première femme Aurora Bernárdez les récupère et les dépose en 1999, avec l’accord de Myriam Pizarnik, la sœur de la poétesse, à l’Université de Princeton qui dispose aujourd’hui de dix boîtes comprenant des journaux intimes, des manuscrits, des correspondances, des dessins et d’autres documents de la période entre 1954-1972.  Ici encore, c’est la famille (en l’occurrence les femmes de la famille) qui finit par trahir, et ce à plusieurs niveaux puisque la sœur de Pizarnik a également censuré une partie de l’œuvre de la poétesse, refusant d’en assumer le caractère subversif, parfois violent, pornographique et lesbien. Les papiers d’Alejandra Pizarnik sont donc sont dispersés et domiciliés à l’étranger (notamment en France), même si une partie a aussi été donnée par sa sœur à la Bibliothèque nationale Mariano Moreno.

[34] « Solo quiero decirme que los papeles no muestran sino una - o más - Delmira, pero parcial, y que nunca sabremos de ella ».

[35] « Hubiera sido preciso contar con una de esas becas que permiten a cualquier estudiante norteamericano conocer países, visitar ciudades, consultar las obras completas de esta o aquella, saber más acerca de los grupos o movimientos a que pertenecieron, recoger los datos bibliográficos que aquí se encontrarán a veces retaceados ».

 

Bibliographie :

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À propos de la rédactrice :

 

Tamara Albarracín Sánchez est diplômée du master de recherche « Genre et changement social et politique : perspectives transnationales » de l’Université de Paris-Cité. Elle fait partie du comité de rédaction de la Revue d’Études Décoloniales et du groupe de traduction associé, La Minga. Elle vit actuellement en Uruguay et prépare un projet de thèse de doctorat en sociologie féministe de la connaissance, à partir d’un corpus d’écrivaines latino-américaines et caribéennes.

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